Et voilà encore un peintre peu connu : Joachim Patinir. Il naît à Dinant, en Haute- Meuse, vers 1480. Contemporain de Jérôme Bosch et de Albrecht Dürer – qu’il rencontre par ailleurs – il arrive à Anvers vers 1515 où il travaille jusqu’à sa mort, en 1524. En quelque sorte inventeur de la peinture paysagiste, il peint des panoramiques, mêlant l’imaginaire aux caractères de la campagne flamande et des bords de Meuse. Les premières cartes de géographie représentant le monde, les récits fabuleux des explorateurs, nourrissent son imagination. Dans ses tableaux baignés de fantastique, on ne sait pas vraiment s’il peint ses rêves, la Meuse, le Nil ou la Méditerranée, mais toutes les nuances de bleu s’épanouissent dans ses eaux et ses cieux, des tons fluides ou glacés, doux ou inquiétants qui se reflètent sur des pics aux ombres bleutées, elles aussi.
Les tableaux de Joachim Patinir sont si marquants que beaucoup d’auteurs sont séduits et écrivent à son propos. Pour Sylvie Germain (1), « Il a peint avec du silence, avec la transparence de l’air, avec la luminosité de l’espace, et avec l’âme du Bleu même. »
Maurice Pons s’attarde sur l’œuvre de l’artiste dans un ouvrage qui fait rêver, intitulé Patinir ou l’harmonie du monde (2) :
« À l’époque où vivait Joachim Patinir […] de hardis voyageurs s’étaient aventurés au-delà des premières cartes balbutiantes de la géographie, au-delà du méridien extrême de la terre connue à l’est ; de hardis navigateurs, sur les premiers navires de haut bord, parcouraient l’océan dans le sens des vents d’ouest, ils frôlaient de jeunes continents inconnus, en croyant toucher aux vieilles terres des épices. […] « Il s’est fait peintre pour notre bonheur, et il n’a jamais voyagé qu’avec ses pinceaux. Mais de tous ses périples, si loin de la terre d’Ardenne et de ses ardoisières, il a rapporté un fabuleux présent. Ni un diamant, ni une soierie, ni un sonnet, ni une octave. Il a rapporté une couleur. Ce n’est pas le bleu du saphir, ni le bleu de l’ardoise ; ce n’est pas le bleu de l’acier ni celui de la glace vive ; ce n’est pas le bleu du noble iris, ni celui de la grêle mésange ; ce n’est pas le bleu tendre de l’œil de la truite, ni le bleu argenté du mélèze bleu ; ce n’est pas le bleu du ciel, ni le bleu de la nuit. C’est un bleu qui ne ressemble à aucun autre bleu, qui n’est ni de Paris ni de Prusse et qui ne vient pas d’outre-mer. Ce n’est pas le bleu turquin, ni le bleu Nattier, ni le bleu de cobalt. C’est un bleu qui ne ressemble qu’à lui, et qu’il faudra bien appeler par son nom : c’est le bleu Patinir. »
- GERMAIN Sylvie, Joachim Patinir : paysage avec Saint-Christophe, éd. Invenit, 2010.
- PONS Maurice et BARRET André, Patinir ou l’harmonie du monde, éd. Robert Laffont, 2011.
Cet article est tiré d’une émission diffusée le 30 septembre 2013 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant six années. Elle est présentée ici. L’article a été mis à jour le 3 novembre 2020 et figure dans le livre Bleu, intensément, chapitre 84.
Article du 30 septembre 2013