
Le dragon combattu par saint Michel, recouvert d’un pigment vert de jade.
La couleur verte, nous l’avons vu, a du mal a se frayer un chemin. Elle séduit, mais en même temps son instabilité, tout comme les progrès de la teinture bleue, font souvent vaciller sa notoriété : les déconvenues et les raisons de disgrâce sont nombreuses.
Associée à tout ce qui est changeant instable, capricieux, la couleur verte est volontiers liée au diable, aux sorcières, à la maladie ou aux poisons. Les bestiaires déployant une grande variétés d’horribles et inquiétants animaux verts fleurissent : des dragons, des serpents, des grenouilles apparaissent, verts, velus ou pustuleux, dans les enluminures. Dans les contes, les personnages malfaisants sont décrits tout de vert vêtus ; un diable vert aux yeux verts figure même sur un des vitraux de la cathédrale de Chartres.
Dans le même esprit, des personnages qui exercent un métier peu recommandable ou ambigu sont habillés en vert : les bourreaux comme les prostituées. Par extension, le vert devient la couleur de l’avarice, de la trahison et de la bêtise. On le choisit pour recouvrir les tables de jeux, car il évoque le hasard, heureux ou malheureux.
Dans certaines villes d’Italie du nord au XIVe siècle, on coiffe du « bonnet vert » les banquiers ou les marchands qui réalisent des affaires frauduleuses. Cette coutume traverse les Alpes et donne naissance à l’expression « porter le bonnet vert » : à la fois symbole de la trahison, de l’avarice…
Est-ce parce que le vert qui se décolore a tendance à glisser vers le jaune ? Toujours est-il que la juxtaposition de ces deux couleurs est signe de désordre, d’anormalité, de dérèglement de l’ordre du monde. L’association de vêtements verts et jaunes évoque le monde de la folie, de la dérision ou de la trahison ; c’est la palette réservée aux bouffons, aux jongleurs, aux fous et aux simples d’esprit…
Judas, le personnage du traître par excellence, est le plus souvent représenté dans une association de jaune et de vert, ou avec un « vert perdu » qui tend vers le jaune, dans la peinture comme dans l’enluminure. Il en est de même pour les personnages de Caïn, Dalila qui trahit Samson ou Caïphe, le grand prêtre qui condamne le Christ. Bref, le vert, au fil du temps, se fraye une place dans l’univers des couleurs, mais comme une couleur qui peut porter chance ou malchance, capable du meilleur comme du pire.
Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts ici
Article du 27 mars 2017