Nous l’avons vu la semaine passée, le cinabre naturel, malgré sa beauté, présente de nombreux inconvénients. Aussi, dès le VIIIe siècle, on met au point des techniques qui s’apparentent à l’alchimie pour le fabriquer.
Le moine Théophile, au XIIe siècle, décrit la fabrication d’un cinabre de synthèse. Écoutons-le : « prenez du soufre (…) et le brisant sur une pierre sèche, ajoutez-y la moitié de mercure pesé à équilibre de balances ; après avoir soigneusement mêlé, mettez dans un flacon de verre, le couvrant de toutes parts d’argile, fermez l’ouverture de crainte que la vapeur ne sorte, et placez-le près du feu pour qu’il sèche. Ensuite, mettez-le au milieu de charbons ardents, et aussitôt qu’il commencera à chauffer vous entendrez du bruit à l’intérieur, indice que le mercure se mêle au soufre enflammé : quand le son aura cessé, ôtez aussitôt la bouteille, et l’ouvrant, prenez la couleur. »
Cennino Cennini, au chapitre XL, donne à son tour une description complète de la fabrication du cinabre, reprenant la plupart des points que nous avons évoqués précédemment : la méthode alchimique, le risque de falsification, l’inconvénient du noircissement et la diversité des conseils de préparation dans laquelle il est parfois difficile de se retrouver. Écoutons-le :
« Il existe un rouge appelé cinabre ; il est fait par alchimie, et préparé au moyen d’un alambic. Je n’en dis pas plus car il serait long de mettre dans mes propos toutes les méthodes et les recettes. Pour quelle raison ? Parce que si tu veux t’en donner la peine, tu en trouveras beaucoup (…), en particulier en te liant avec les moines. Mais je te conseille, pour ne pas perdre ton temps, dans les nombreuses variations entre une pratique et une autre, de prendre un peu de celui que tu trouves chez les apothicaires, avec ton argent. Je veux t’apprendre à acheter et à reconnaître le bon cinabre. Achète-le toujours non cassé, non écrasé ni broyé. Pour quelle raison ? Parce que, la plupart du temps, on le falsifie avec du minium ou de la brique écrasée. Regarde le morceau entier de cinabre ; là où, sur la plus grande hauteur, la veine est la plus étendue et la plus délicate, là est le meilleur. Mets alors celui-ci, sur la pierre indiquée, en le broyant avec de l’eau claire, le plus possible ; car si tu le broyais chaque jour, même pendant vingt ans, il serait toujours meilleur et plus parfait. Cette couleur exige plusieurs sortes de détrempe, selon les endroits où tu dois l’utiliser ; (…). Mais souviens-toi qu’il n’est pas dans sa nature d’être exposée à l’air ; (…), car au contact de l’air, elle devient noire (…) »
Nous continuerons la semaine prochaine notre tour d’horizon des rouges médiévaux, tels que Cennini les raconte.
PS : on peut relier l’article plus détaillé de novembre 2014 sur le cinabre ici ainsi que celui de la semaine dernière ici
Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…). On peut retrouver certains podcasts ici
Émission du 14 janvier 2019