Après la description de toutes ces couleurs, Cennini (1) nous raconte la manière de préparer un blanc, très utilisé dans les fresques médiévales : le blanc de Saint-Jean.
La recette démarre avec de la chaux éteinte, épurée à plusieurs reprises par des lavages à l’eau. Grâce au séchage au soleil, on arrive à produire un carbonate de calcium très blanc. On dit de ce pigment qu’il est « bon » lorsqu’il semble avoir goût de terre…
Écoutons la description de Cennini : « Il existe un blanc naturel, et cependant préparé artificiellement. On le fait de cette façon : prends de la chaux éteinte, bien blanche ; mets-la, réduite en poudre dans un baquet pendant huit jours, en y ajoutant chaque jour de l’eau claire, et en mélangeant bien la chaux et l’eau, pour en faire sortir tout le gras. Fais-en ensuite des petits pains ; mets-les au soleil, sur les toits ; plus ils sont vieux, plus le blanc est bon. Si tu veux le faire vite et bien, quand les petits pains sont secs, broie-les sur ta pierre, avec de l’eau ; refais-en des petits pains et mets-les à sécher ; fais cela deux fois et tu verras à quel point le blanc sera parfait. »
Un ami iconographe (2) aujourd’hui disparu, m’avait un jour envoyé ce message. Je vous le lis en guise d’hommage :
« J’essaie moi-même d’en fabriquer à partir de chaux aérienne périmée, car laissée trop longtemps à l’air et à l’humidité. Pour l’instant, j’obtiens quelque chose qui ressemble beaucoup à de la craie « scolaire », en plus friable peut-être. Le pouvoir couvrant n’est pas très grand : c’est un blanc doux, beaucoup moins agressif que le blanc de titane mais d’une consistance un peu grumeleuse. Même réduit en poudre fine, il a tendance à absorber l’humidité et à faire des grumeaux. Je pense qu’il est nécessaire de le passer vigoureusement à la molette avant de l’utiliser. J’envisage de le broyer très finement à l’aide d’un petit moulin à billes pour obtenir des cristaux très fins. Je crois que l’intérêt de ce pigment réside dans son comportement vis-à-vis de la lumière incidente.
Pour le moment la météo ne me permet pas de confectionner les petits pains de chaux à laisser sécher au soleil. Je reprendrai cela dès que les beaux jours reviendront. Si tout va bien, j’aurai terminé une première « fournée » le 24 juin prochain. (…) ce pigment porterait bien son nom de « blanc de Saint-Jean ». En attendant je vais encore étudier en détail sa chimie et sa cristallographie. Qu’est-ce qui peut bien le distinguer de la craie ordinaire (…)? Finalement c’est chimiquement exactement pareil : du carbonate de calcium. La seule différence que je puisse voir actuellement est dans les cristaux reformés et donc récents, alors que dans la craie, ils ont peut-être plusieurs millions d’années ! »
- Cennino Cennini, Il libro dell’arte, Éd. Berger-Levrault, 1991
- Jean-Pierre Wantz
Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…). On peut retrouver certains podcasts ici
PS : J’avais déjà écrit un article très proche sur le blanc de Saint-Jean le 4 décembre 2013
Article du 1er avril 2019