Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Le nouveau pigment bleu YInMn

Pigments bleus…

Ces dernier temps, j’ai reçu de nombreux messages d’amis qui savent que je me suis particulièrement intéressée aux pigments bleus : un nouveau pigment bleu a récemment vu le jour, ce qui n’était pas arrivé depuis plus d’un siècle. Il s’agit d’un bleu très vif qu’on pourrait situer entre le bleu outremer et le bleu de cobalt. Il porte actuellement un nom peu poétique : le YInMn Blue, ce qui est simplement l’abréviation de ses principaux composants chimiques : yttrium (une terre très coûteuse), indium et manganèse. Après avoir subi les contrôles nécessaires, ce pigment est commercialisé depuis peu par exemple chez un de mes fournisseurs préférés : Kremer. Mais il est produit actuellement en petite quantité (en raison de la rareté des composants si j’ai bien compris), et son prix reste très élevé, environ 4 000 €/kg

La première découverte remonte à 2009 et, comme c’est arrivé si souvent dans l’histoire des couleurs (voir l’article sur le bleu de Prusse), elle est accidentelle, fruit d’un « splendide hasard » : Andrew Smith, étudiant de l’Oregon, travaillait au sein d’une équipe dirigée par Mas Subramanian. Il tentait de créer un matériau électronique à haut rendement en chauffant l’oxyde de manganèse à 1 200° lorsqu’il a remarqué qu’un composé bleu d’une étonnante tonalité avait émergé dans le four, assez proche par sa luminosité du fameux « bleu Klein ».

Les qualités de ce bleu ne résident pas seulement dans sa merveilleuse tonalité : il est aussi très stable à la lumière comme à la température et ne semble ni toxique pour l’humain, ni dangereux pour l’environnement (bien que nécessitant des matériaux rares, ce qui n’est quand même pas anodin !). Il semble que l’équipe à l’origine de ce pigment continue les recherches pour obtenir d’autres couleurs selon le même genre de procédé. Par ailleurs, le YInMn reflète particulièrement bien les rayons infrarouges, et pourrait dès lors être utilisé de manière autant pragmatique qu’esthétique pour protéger des bâtiments de la chaleur.

Il semble bien adapté à la peinture à la tempera et j’espère l’essayer bientôt ou avoir quelques retours de la part de ceux qui le feront.

C’est un peu consternant quand on voit la beauté, la brillance et la profondeur de cette couleur, de n’avoir pas trouvé mieux pour le nommer que quelques initiales abréviatives que je n’arrive même pas à prononcer ! La firme Crayola l’a utilisé pour un nouveau crayon de couleur baptisé, suite à un concours, «bluetiful». C’est déjà mieux ! J’espère qu’on lui trouvera un plus joli nom à l’avenir, pourquoi pas celui d’un peintre qui excellera avec cette couleur (on connaît le vert Veronèse, le bleu Klein, le brun Van Dick…).


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Couleur de lumière

À Ravenne, au mausolée de l’impératrice Galla Placidia, la coupole est ornée de mosaïques aux couleurs du ciel tandis que les voûtes des fresques passent en Occident, du jaune ou de l’or au bleu. 

Église romane de Perse à Espalion : elle porte ces deux couleurs associées à la lumière : l’or et le bleu des cieux…

Les savants du Moyen Âge multiplient les expériences d’optique, s’interrogent sur l’arc-en-ciel et associent leurs recherches à leurs préoccupations théologiques ; ils ne parviennent à aucun consensus. 

Certains pensent que la couleur est divine, porte en son cœur la lumière et éloigne la nuit, le Malin et l’obscurité. Homme de science, l’abbé Suger encourage les artistes à jouer avec la couleur et les vibrations de la lumière. Il se réfère aux écrits de Denys l’Aréopagite, moine mystique syrien de la fin du Ve siècle et s’appuie sur la première épître de saint Jean : « Et voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous dévoilons : Dieu est lumière, et de ténèbres, il n’y a pas de trace en lui » (1 Jn 1, 5).

Vers 1140, l’abbé Suger fait reconstruire l’église abbatiale de Saint-Denis et encourage l’usage des couleurs, en particulier le bleu, afin de dissiper les ténèbres. On parle du bleu de Saint-Denis. On utilise alors pour les vitraux un produit très cher, le safre qui prendra plus tard le nom de bleu de cobalt. Suger évoque la « matière de saphirs » pour décrire les verres bleus des vitraux de son abbatiale. Le moine Théophile rédige à cette époque une sorte d’encyclopédie du savoir-faire artisanal et emploie la même expression, saphirum, pour désigner les fragments de verre bleu imitant la pierre précieuse. 

L’expérience de Saint-Denis convainc et inspire les artistes qui élèveront vers les cieux la cathédrale du Mans ou de Chartes d’où émergera le célèbre bleu de Chartres.

À l’opposé, d’autres hommes d’église comme saint Bernard de Clairvaux estiment que la couleur est matière, qu’elle distrait et éloigne les hommes de Dieu. L’architecture cistercienne, tout en sobriété et dépourvue de vitraux colorés, témoigne de cet état d’esprit. 

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 14 novembre 2011 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant six années. Elle est présentée ici. L’article a été mis à jour le 6 mai 2021 et figure dans le livre « Bleu, intensément », chapitre 12.


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Le bleu maya

Je viens de recevoir des échantillons de deux tonalités différentes du bleu maya, à propos duquel j’avais écrit un article dans le livre Bleu, intensément. Vous trouverez à la fin de l’article quelques remarques sur l’utilisation pratique de ces pigments.

Et voilà, ci-dessous, les informations dont je disposais jusqu’alors.

Une fois de plus, la science et l’anthropologie viennent de s’associer pour résoudre des questions relatives à un fascinant pigment vivement coloré, connu sous le nom de bleu maya, couleur du ciel.

Ce pigment utilisé pendant plus d’un millénaire en poterie, en sculpture et dans les peintures murales d’Amérique centrale apparaît autour du VIe siècle. Il joue un rôle essentiel dans la pratique religieuse maya : cette peinture bleue, inhabituelle, est employée pour enduire les victimes de sacrifices humains ainsi que les autels de sacrifice. Le bleu maya fait également partie du rituel pour s’attirer la bienveillance de Chaak, dieu de la pluie. Quand le ciel est clair et que les pluies tardent à abreuver la terre, les Mayas organisent des cérémonies au cours desquelles des objets et des sacrifices humains peints en bleu – la couleur de Chaak – sont jetés dans des trous naturels remplis d’eau.

Pendant la période coloniale, on emploie cette couleur pour peindre les fresques des églises et des couvents ; longtemps oubliée, elle est redécouverte en 1931. Les scientifiques sont déconcertés par la stabilité et la luminosité d’un pigment qui semble insensible aux effets de l’altération chimique ou physique. Ils savent maintenant que le bleu maya est constitué de la combinaison chimique de l’indigo et de la palygorskite, une argile minérale bien connue des potiers du Yucatán et également prescrite à des fins médicinales.

En combinant les prélèvements et les analyses minéralogiques, les témoignages de potiers d’aujourd’hui, la recherche ethnographique et géologique, les chercheurs ont établi une relation entre les savoirs et les pratiques des habitants de la région, l’histoire et les traditions liées à ce pigment. Ainsi, ils viennent d’identifier son lieu d’origine de façon certaine, dans les mines de deux sites du Yucatán.

Ce pigment, le bleu maya, a traversé le temps et se révèle un des précurseurs des matériaux hybrides actuels, un sujet d’étude et d’étonnement. J’imagine un chercheur penché sur sa table de travail, examinant le pigment, scrutant son ordinateur et ses notes : il décourbe le dos, émerveillé devant tant de bleu, pour tourner son regard vers le ciel.

Cet article a été l’objet d’une émission sur RCF Isère le 17 septembre 2012 ; il constitue le chapitre 45 du livre, Bleu intensément .

Article du 12 janvier 2021 complété le lendemain après un essai.

J’ai essayé mes deux échantillons de pigment bleus Maya (il existe une troisième nuance qui n’était pas disponible au moment de ma commande, ce qui ne devrait pas changer grand-chose à mes observations car elle semble encore plus grise).

J’avoue avoir été un peu déçue par la tonalité très grise de ces « bleus » : la couleur est jolie et profonde, mais ne m’évoque pas du tout cette couleur de ciel qui présente le pigment dans divers articles. La plus foncée fait un peu penser au bleu de Prusse avec une tonalité qualifiée de « glacée ». Le catalogue qui la présente assure de sa stabilité. Elle n’est pas très onctueuse et peu couvrante (plutôt transparente). Cela dit, si elle ne correspond pas à mon attente, elle me plaît néanmoins par sa profondeur et j’aurai plaisir à l’utiliser !

PS : j’ai mélangé les pigments à ma préparation à l’œuf. On ne peut pas les diluer dans l’eau seulement.


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Le grand nuancier bleu

Préparation du grand nuancier bleu ou la fin de cet été là dans le jardin

La boîte de pigments bleus est arrivée il y a dix années, déjà, par la poste en provenance d’Allemagne. Quarante-cinq fioles bien rangées dans une boîte en bois et étiquetées de noms mystérieux, comme autant d’invitations au voyage. Un véritable trésor sorti d’un conte des Mille et une nuits. J’ai traduit le texte inscrit sur chaque étiquette avant de le réécrire soigneusement, en français. Puis j’ai préparé un nuancier sur une feuille épaisse de papier à aquarelle. Quarante-cinq ronds de 7 centimètres de diamètre, sur lesquels j’ai déposé, du bout de mon pinceau, un peu de pigment mélangé à un liant à l’œuf.

Je répète et savoure les noms de ces pigments qui me font rêver : smalt extra finbleu égyptien. Voyage en Antiquité. Han pourpre et me voilà en Chine. Cendresbleu Plossazurite, sodalith et lapis- lazuli. On dirait une formule magique ! J’ai l’impression que la lampe d’Aladin va enfin dévoiler ses mystères.

Le grand nuancier bleu

Et puis voilà l’indigo qui me transporte comme par enchantement chez les teinturiers du Moyen Âge. C’est ensuite le tour de l’outremer, décliné dans toutes ses nuances de vert, verdâtre intense, verdâtre clair, rougeâtre ou violet. Bleu Milori et bleu de cuivrebleu de coelin-zirkonbleu de cobalt foncé, un peu foncé, Sapporo, mat ou clair, bleu verdâtrebleu turquoise clair, foncé ou brillant.

Ces noms et ces couleurs m’entraînent loin, très loin, dans un voyage à travers le monde : les fresques couleur cobalt des Assyriens, les colliers de Toutankhamon, la mosquée d’Ispahan, les tuniques sacrées des Cheyennes du Colorado, les foulards indigo des Touaregs, la porte en bois d’une maison dans un village de Grèce avec au second plan, la mer, le vent et encore la mer.

Cet article a été l’objet d’une émission sur RCF Isère le 26 décembre 2011 ; il constitue le chapitre 5 du livre, Bleu intensément .


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Le bleu de Laurent de La Hyre

Un Grenoblois qui aime le bleu devrait courir au musée de Grenoble et se poser là, pendant des heures, devant les deux tableaux de Laurent de La Hyre.

Peintes en 1656, ces œuvres sont les toutes dernières du peintre, à la fin de sa vie. Elles décrivent avec beaucoup d’émotion et de retenue les premières apparitions de Jésus après la Résurrection : dans la lumière du matin à Marie-Madeleine et dans la chaleur d’une fin de journée aux disciples d’Emmaüs.

Les Disciples d’Emmaüs, Laurent de La Hyre

Il s’agit d’une commande réalisée pour le monastère de la Grande Chartreuse en Isère. Les deux tableaux, conçus comme des pendants, sont exactement de même dimension : la scène des Disciples d’Emmaüs était probablement disposée à côté du Noli me tangere, sur les autels de chapelles voisines. Ils se répondent par les thèmes, les tonalités et surtout le vêtement bleu céleste du Christ décliné selon deux nuances très proches, réalisées à partir d’un mélange de lapis-lazuli et d’indigo. Dans ces scènes, la symbolique du bleu parle d’elle-même. Le bleu habille tout entier le Christ qui n’est « plus de ce monde ». La couleur est clairement utilisée comme une couleur céleste, évoquant l’éloignement du monde, le Christ ressuscité et sa royauté.

Dans les deux tableaux, avec des nuances correspondant aux différentes heures du jour, les autres personnages sont, au contraire, revêtus de couleurs marquant leur humanité, leur présence terrestre : une robe aux teintes vertes et un manteau vermillon pour Marie-Madeleine et les mêmes couleurs dans de nouvelles nuances pour les pèlerins, sur l’autre tableau.

Une couleur céleste est utilisée : le blanc de l’ange sur le premier tableau répond à celui de la nappe sur laquelle est rompu le pain. Quant au ciel, nuageux et changeant, aux couleurs de la vie, il distille une touche de bleu, une touche de gris, une touche de blanc…

Noli me tangere, Laurent de la Hyre

Les nuances subtiles de bleu employées dans ces deux tableaux sont tellement marquantes que l’on a pu parler du bleu de La Hyre. Le titre de notre émission pourrait bien se loger là, dans l’infime nuance entre les deux bleus, un espace minuscule entre deux tonalités, un trouble, une impression indéfinissable.

J’ai beaucoup parlé de Laurent de La Hyre dans le livre Décalage horaire avec en particulier le commentaire du tableau Les Disciples d’Emmaüs et Noli me tangere

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 10 septembre 2012 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant six années. Elle est présentée ici. L’article a été mis à jour le 1er novembre 2020 et figure dans le livre Bleu, intensément, chapitre 44.

Article du 1e novembre 2020


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Vermeer et le bleu

Johannes Vermeer naît à Delft en 1632 et meurt, épuisé, à 43 ans. Son travail se différencie peu, au premier abord, de celui des autres artistes de son temps. Il dispose des mêmes liants, de la même palette et en particulier des mêmes bleus. À l’époque, la seule innovation importante dans le domaine des pigments repose sur l’utilisation du jaune de Naples, jusqu’alors réservé aux arts du feu.

Le génie de Vermeer est ailleurs ; il réside dans sa façon d’inventer, de superposer les couleurs, de faire vibrer la lumière, de peindre des espaces intimes, d’en dégager la sérénité et de suspendre le temps.

La jeune fille à la perle

Vermeer travaille lentement, avec méticulosité, ne réalisant guère plus de trois tableaux par an. Il est, par excellence, un peintre du bleu et aucun autre artiste du XVIIe siècle n’utilise autant que lui l’outremer naturel, à savoir le lapis-lazuli.

Il joue des mélanges entre les couleurs : claires ou sombres, pigments coûteux ou courants. Ainsi, pour les fonds et surtout pour les ciels qu’il aime tant peindre, il associe l’azurite et le smalt. Il recouvre ensuite l’ensemble d’un glacis de précieux lapis- lazuli.

Il joue avec les transparences, les superpositions et les dégradés, incorporant du blanc au bleu, inventant toute une gamme de gris et des nuances subtiles.

Vermeer a une prédilection particulière pour l’association du lapis-lazuli et du jaune qui vibrent ensemble dans le voile de La Jeune Fille à la perle ou dans les vêtements de La Laitière et de La Dentellière.

L’artiste utilise aussi les bleus de façon inventive et inattendue ; ainsi, dans le tableau intitulé La Jeune Fille au verre de vin, la sous-vercouche de la peinture de la robe de satin rouge est constituée de lapis-lazuli. Le mélange de rouge et de vermillon appliqué ensuite acquiert un aspect légèrement pourpre, donnant à la robe une étrange vitalité.

Décidément, Vermeer est un jongleur, un jongleur de bleus.

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 18 juin 2012 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant six années. Elle est présentée ici. L’article a été mis à jour le 31 octobre 2020 et figure dans le livre Bleu, intensément, chapitre 41.

Article du 31 octobre 2020


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Le lapis-lazuli

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Quatre sortes de lapis-lazuli : l’un acheté à Venise et d’origine inconnue, les autres viennent respectivement de la région du lac Baïkal, du Chili et d’Afghanistan.

Pendant le Moyen Âge, les seuls pigments minéraux bleus offerts aux peintres sont le bleu azurite ainsi qu’un autre pigment très recherché, tiré de la lazurite : le bleu lapis-lazuli.
Cette pierre semi-précieuse, d’une tonalité profonde, est composée de silicates complexes. Connue dès l’Antiquité, il semble que les Assyriens l’emploient dans leurs fresques neuf siècles avant J.-C. Dans l’Égypte ancienne, il est peu probable que la pierre soit utilisée comme pigment, mais elle sert d’objet décoratif ou de matériau d’incrustation en joaillerie et couvre les paupières du masque du sarcophage de Tout Ankh Amon.

Les peintres afghans broient la pierre et l’adoptent en tant que pigment seulement au Ve siècle de notre ère. Il se répand alors sur les routes du monde, des peintures
tibétaines au monde arabe. Au Moyen Âge, les Vénitiens importent le lapis-lazuli en Occident et la couleur devient la plus précieuse de la palette, encore plus coûteuse que l’or à certaines époques. On la réserve, tout naturellement, au manteau de la Vierge ou bien on la pose en glacis pour rehausser un bleu de moins bonne qualité. On a retrouvé des conventions spéciales passées entre commanditaires et peintres, spécifiant la quantité exacte du précieux pigment à consacrer à tel ou tel tableau.

On appelle alors cette couleur oltramarino, c’est-à-dire bleu « venu d’au-delà des mers »,
en opposition à l’azurite, ce bleu venu de ce côté-ci de la mer (citramarino), ce qui signifie que les couleurs dénommées « outremer naturel » sont en réalité du lapis-lazuli.
J’utilise parfois un peu de lapis-lazuli dans mes icônes. La couleur est légèrement granuleuse, pas très facile à étendre et peu couvrante ; mais les particules, de taille variée, renvoient la lumière dans différentes directions et confèrent aux glacis une tonalité d’une profondeur qu’aucun autre bleu n’égale.

Comment fabriquer le pigment lapis-lazuli à partir de la lazurite ? Les recettes, délicates, nécessitent de nombreuses opérations de purification.

La pierre est broyée et lavée, puis mélangée à du fiel de bœuf ou bien à de l’œuf, de la cire ou encore de la résine. Elle est coûteuse mais inaltérable.

Cennino Cennini rédige Le Livre de l’art au XIVe siècle. Il marque l’histoire de l’art, fournit aux peintres de son époque une foule de conseils techniques et nous transmet un témoignage inestimable. Le 62e chapitre de l’ouvrage s’intitule : « Nature et manière de faire du bleu outremer ». Il s’agit de ce que nous appelons le lapis-lazuli et de nombreux extraits et précisions figurent dans ces deux autres articles : le bleu outremer d’après Cennini et la suite.

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 14 mai 2012 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant six années. Elle est présentée ici. L’article a été mis à jour le 29 octobre 2020 et figure dans le livre Bleu, intensément, chapitre 37 et début du chapitre 38.

Article du 29 octobre 2020

On peut consulter cette page du site des pigments Kremer pour visualiser les étapes de la production de ce merveilleux pigment.

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Un autre échantillonnage de divers lapis-lazuli encore plus riche et à droite, une icône en cours avec plusieurs de ces nuances. Il s’agissait de la Noyade de Pierre


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Le bleu dans l’enluminure

Le bleu est une couleur longtemps absente de l’enluminure. À partir du XIIe siècle, la couleur bleue se fraye une place dans la sensibilité et dans l’art. Symbole de loyauté, de courage et de fidélité, le bleu s’exprime pleinement dans les manuscrits du XIIIe siècle. Comme si cette couleur avait eu besoin de temps pour mûrir et s’épanouir… 

pigments bleus

Au départ, pour fabriquer du bleu, les peintres élaborent des recettes simples à base de jus de végétaux, fleurs ou baies. Plus d’une vingtaine de familles de plantes sont sources de bleu. Les pétales de pois sauvages, d’iris et de bleuets, les baies de cassis et myrtilles… sont écrasés, séchés, retrempés et associés à des onguents, de la gomme ou de l’alun. 

Les coloris offrent une infinie variété : les sucs de violette développent un azur sourd, les fruits de l’héliotrope donnent le bleu de tournesol. Mais ces plantes produisent des couleurs instables aux nuances liées à l’acidité ou à l’alcalinité des solutions de préparation. 

Un certain Pierre de Saint-Omer (1), au XIVe siècle, explique comment procéder à la fabrication des matières colorantes bleutées : « Prendre des fleurs bleues, les broyer, les presser et les filtrer. On utilise la sauce sur fond blanc de céruse pour peindre sur parchemin, en appliquant plusieurs fois la couleur, jusqu’à ce que le bleu désiré soit. » Mais l’auteur reste évasif quant aux plantes à récolter. Bien souvent, les bleus végétaux déçoivent avec leurs teintes fugaces et instables. Pour l’enlumineur, il vaut mieux laisser la couleur bleue à sa place, dans la nature, s’en émerveiller en regardant le ciel, les champs de bleuets, la légèreté du myosotis et de la campanule, la délicatesse de la violette blottie dans le sous-bois. Puis goûter aux fruits bleus, aux myrtilles et aux mûres qui colorient la bouche d’une teinte étrange. Et préférer, pour la peinture, une couleur végétale stable comme le pastel ou l’indigo, ou mieux encore, choisir pour sa palette un bleu d’origine minérale ! 

1. J’ai trouvé diverses citations qui lui sont attribuées, mais pas de bibliographie explicite. Si quelqu’un connaît cet auteur, j’apprécierai d’en savoir plus !

Cet article a été l’objet d’une émission sur RCF Isère le 30 janvier 2012 ; il constitue le chapitre 23 du livre, Bleu intensément et a été mis à jour le 7 août 2020.


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« Pour un herbier »

Les hortensias bretons m’ont donné envie de publier cet article inspiré d’un texte de Colette. En 1947, l’éditeur suisse Mermod lui avait proposé de lui envoyer régulièrement un bouquet de fleurs aux couleurs variées. Colette, en contrepartie, devait s’engager à en faire le « portrait ». Ainsi, un an plus tard naquit un petit recueil, une des œuvres ultimes de Colette, intitulé Pour un herbier (1). Il regroupe vingt-deux textes, autant d’évocations, de délicieuses divagations poétiques tout au long desquelles Colette nous parle des fleurs bleues dans son langage si caractéristique. « À part le grand aconit, une scille, un lupin, une nigelle, la véronique petit-chêne, le lobelia, et le convolvulus qui triomphe de tous les bleus, le Créateur de toutes choses s’est montré un peu regardant quand il a distribué chez nous les fleurs bleues. On sait que je ne triche pas avec le bleu, mais je ne veux pas qu’il m’abuse. Le muscari n’est pas plus bleu que n’est bleue la prune de Monsieur… Le myosotis ? Il ne se gêne pas pour s’incliner à mesure qu’il fleurit vers le rose. L’iris ? Peuh… Son bleu ne se hausse guère qu’à un très joli mauve […] Il passe pour bleu, grâce à l’unanimité d’une foule de personnes qui n’entendent rien à la couleur bleue. 

« Il y a des connaisseurs de bleu comme il y a des amateurs de crus. Quinze étés consécutifs à Saint- Tropez ne me furent pas seulement une cure d’azur, mais une étude aussi, qui ne se bornait pas à la contemplation du ciel provençal et négligeait parfois la Méditerranée. Je n’allais pas mendier le bleu aux clairs lits de sable fin où la vague se repose, sachant bien qu’à peine né de l’aurore, le bleu de la mer serait mordu cruellement par le vert insidieux qui éteint au ciel la dernière étoile, et que chaque point cardinal, quittant le bleu instable, choisit sa couleur céleste […] 

« Nous attendions qu’une petite aile de poussière voletante aux coudes de la route, une frisure blanche à la lèvre du golfe marquassent la résurrection de tous les bleus. Une couleur de dur lapis, rendue à la mer, bondissait réverbérée sous la tonnelle, et chacun des gobelets de verre berçait un dé de glace soudain teinté de saphir. 

« Au-dessus des Alpes encore dorées, une pelote orageuse, bleue comme un ramier, touchait les cimes. Dans peu d’heures, la pleine lune cheminerait parmi la neige d’étoiles, et jusqu’à l’aube les blancs lys des sables, qui se ferment pendant le jour, seraient bleus. » 

1. COLETTE, Pour un herbier, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2001. 

Cet article a été l’objet d’une émission sur RCF Isère le 23 janvier 2012 ; il constitue le chapitre 22 du livre, Bleu intensément et a été mis à jour le 5 août 2020.


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« Fleur bleue »

Il aura suffi que je découvre chez mon amie Annie une fleur d’un bleu intense, pour que me vienne l’envie de publier cet article resté en attente. Comme le dit Colette (article à suivre) : « Le Créateur de toutes choses s’est montré un peu regardant quand il a distribué chez nous les fleurs bleues ».  Chacune, avec son histoire et sa gamme de tonalités, suscite une émotion ou évoque quelque souvenir.

Delphinium sur « La larm e» d’Annie, à Balbins 38 (Pois de senteur au premier plan)

Dans le langage des fleurs, le bleu pâle exprime la tendresse et l’innocence. Il faut remonter au début du XIXe siècle et au jeune écrivain allemand, Novalis, pour trouver l’origine de l’expression « fleur bleue ». Dans un roman inachevé, il évoque la légende d’un trouvère médiéval qui, parti à la recherche d’un idéal, découvrit la fleur bleue, symbole de la poésie. On parle de « la fleur bleue du romantisme ».

En traversant le Rhin, la fleur bleue change de sens ; elle abandonne le registre de la poésie pour être associée à une sentimentalité mêlée de naïveté. Le bleu peut aussi évoquer la jeunesse, car un « bleu » désigne un débutant, un novice. 

Bien qu’assez rares, les fleurs bleues existent dans la nature. Citons la glycine, le lin, l’iris, le glaïeul, la pervenche et le pétunia, la lavande, le lilas, le bleuet, la fleur de sauge et de bourrache, le myosotis, le muscari, le lupin, le géranium de l’Himalaya… ou le delphinium. L’hortensia, lui, tire sa couleur caractéristique des sols d’ardoise. Quant à la vigne vierge à fruits bleus, plante grimpante ligneuse originaire de Chine, elle est cultivée comme plante ornementale pour ses raisins aux couleurs remarquables allant du mauve au bleu turquoise.

On trouve également des fruits bleus comme celui du genévrier commun utilisé en condiment, la mûre, la myrtille, l’orcette ou myrtille des marais, certaines airelles, la prune, le pruneau et la prunelle. 

Le bleuet, sorte d’airelle à feuilles étroites, est une myrtille arbustive de grande taille qui pousse au Canada, en particulier dans la région du lac Saint-Jean. Les anthocyanosides lui donnent sa couleur bleu foncé caractéristique. Ce petit fruit serait une des vedettes montantes de l’alimentation thérapeutique, un puissant antioxydant réputé pour son action sur la mémoire, la vision et la fatigue oculaire. 

Pour moi, ces fruits évoquent la cueillette des baies bleues cachées sous le tapis moussu dans la lumière rasante des pays du Nord. Une barque passe, et le clapotis des rames chante avec le silence. 

Cet article a été l’objet d’une émission sur RCF Isère le 16 janvier 2012 ; il constitue le chapitre 21 du livre, Bleu intensément et été mis à jour le 11 juillet 2020.