Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Un léger décalage…

Demain les cours reprennent. 

Je suis souvent surprise en regardant mes élèves de voir à quel point certains travaillent en équilibre sur leur chaise, le corps en torsion ou incliné d’un côté. Peut-être parce que j’ai suivi avec passion depuis toujours des cours de danse et de Qi Gong, ces postures m’interrogent. 

La règle de l’iconographe (voir ici) indique tout au début : « Avant de commencer ton travail, fais un signe de croix, prie en silence et pardonne à tes ennemis. Signe toi à plusieurs reprises durant le travail afin de te fortifier physiquement et spirituellement. » Je ne reviendrai pas sur les significations inépuisables du signe de croix. Soulignons seulement que ce geste qui relie la verticalité et l’horizontalité, indique la direction juste pour aider le corps à se centrer et à se recentrer.

Le geste vertical relie le mental, le souffle au milieu de la poitrine, l’action dans le ventre, le tout bien aligné. Ce signe nous relie au ciel comme à la terre. Il est notre ancrage.

Parce que nous ne sommes pas seuls au monde, le geste horizontal nous relie aux autres, à leur présence, tout en allant de la justice ou de la règle (à droite) à la miséricorde et l’amour (à gauche) en passant par le cœur.

Ainsi, se signer signifie se relier à la prière bien sûr mais aussi redessiner son axe, ses axes, à la fois dans une stabilité et dans un lien.

Dans les Écrits sur l’Hésychasme (1) le père spirituel commence son enseignement en recommandant au jeune disciple de méditer comme une montagne : « La première indication qui lui était donnée concernait la stabilité. L’enracinement d’une bonne assise. En effet, le premier conseil que l’on peut donner à celui qui veut méditer n’est pas d’ordre spirituel mais physique : assieds-toi. » À la fin du paragraphe il est bien précisé d’une façon symbolique que la stabilité ne suffit pas : « la méditation hésychaste à l’enracinement, la stabilité des montagnes, mais son but n’est pas de faire de toi une souche morte mais un homme vivant ». Dans nos icônes cela se traduit par un dessin d’une grande stabilité construit à partir d’un axe vertical qui croise l’autre axe, parfaitement horizontal. Mais en regardant de près, on trouve la plupart du temps un infime décalage du centre. Peut-être que l’humanité, ce qui fait du dessin non pas une « souche morte » mais un être vivant se loge dans ce minuscule écart qu’on retrouve dans la plupart des constructions… 

Ainsi, veillons à notre posture lorsque nous peignons, n’oublions pas le signe de croix, mais sans raideur, en restant dans notre humanité qui créera toujours ce « léger décalage ».

(1) c’est pour moi un livre spirituel fondamental dont je m’inspire beaucoup dans mes cours : LELOUP Jean-Yves, Écrits sur l’Hésychasme, Une tradition contemplative oubliée Spiritualités vivantes, Albin Michel, 1990

Article du 21 septembre 2022