Nous avons eu la chance, au musée de Grenoble, de visiter la semaine dernière l’exposition « Bonnard, les couleurs de la lumière », un festival de couleurs et de vivacité idéal pour reprendre des forces en plein cœur de l’hiver ! En sortant, j’ai acheté à la boutique le livre de Françoise Cloarec, L’Indolente (1), qui raconte l’histoire de ce couple étrange, indestructible et paradoxal. Et je crois avoir mieux compris cette peinture qui est celle de l’amour, de la recherche de la lumière, de l’omniprésence de la couleur et spécialement du jaune, et en même temps celle d’un certain désespoir qui transparaît dans presque tous ses autoportraits.
Ne serait-ce pas là, le langage typique du jaune qui est peut-être la plus paradoxale des couleurs, celle qui passe de la symbolique de la lumière pure et vivifiante, à celle du soufre ou de l’acidité mortifère ?
Bonnard disait à propos de la couleur :
« J’ai réalisé que la couleur pouvait tout exprimer sans avoir recours au relief ou à la texture. J’ai compris qu’il était possible de traduire la lumière, les formes, les personnages par le biais de la couleur seule sans avoir à recourir à d’autres valeurs. »
Françoise Cloarec complète en citant Agnès Vaillant (2) : « À la fin de sa vie, Bonnard adorera le jaune, il deviendra omniprésent dans son œuvre. Jaune comme les cheveux de Renée, comme le soleil. Un jour, Jacques Rodriguez-Henriques, fils de Gabriel Bernheim et beau-fils de Vallotton, lui dira en montrant une toile de Signac :
– Il y a beaucoup de jaune !…
Pierre répondra :
– On n’en met jamais trop. »
Quand Bonnard et Marthe s’installent au Cannet en 1926, ils choisissent une maison dans laquelle la lumière entre de toutes parts. La salle à manger qu’ils repeignent en jaune de Naples (p. 190) ouvre sur la végétation. En 1939, quand commence la Deuxième Guerre mondiale, ils s’installent définitivement dans cette maison. Bonnard commence alors L’Atelier au mimosa. Cette profusion de couleur jaune flamboyante semble un véritable antidote au climat sinistre des années de guerre, mais aussi à sa vie personnelle qui devient très dure avec l’état de plus en plus dépressif de Marthe. Bonnard représente, depuis la mezzanine de son atelier, la floraison du mimosa. De l’ocre à l’or, le peintre explore toute la variété et l’intensité du jaune : « La couleur m’avait entraîné, je lui sacrifiais presque inconsciemment la forme », dit-il. Mais cette omniprésence du jaune dans toutes ses nuances ne saurait cacher la perspective sombre de l’avenir qu’on devine à la couleur du ciel, agité et sombre, tout au fond.
Lorsqu’il peint son ultime tableau, L’amandier, devenu trop faible pour tenir son pinceau, il demande à son neveu Charles : « Là, en bas à gauche, il faut que vous mettiez une touche de jaune » (p. 298).
Nombre de ses œuvres portent le mot jaune dans leur titre : Le Grand Nu jaune, Le bateau jaune… De toutes façons, Bonnard utilise des dominantes de jaune dans de nombreux tableaux comme Le Golfe de Saint-Tropez. Parfois le jaune traduit la joie et la luminosité, l’espoir, mais dégage aussi parfois une infinie tristesse, comme le jaune du Boxeur.
Pour moi, l’utilisation du jaune chez Bonnard est un peu comme une volonté de survivre, de se hausser plus haut que le malheur, d’exprimer par la couleur cette phrase écrite dans son agenda le 17 janvier 1944 : « Celui qui chante n’est pas toujours heureux » !
- Cloarec Françoise, L’Indolente, Le mystère de Marthe Bonnard, 2016, J’ai Lu
- Vaillant Annette, Bonnard ou le bonheur de voir, Neuchâtel, Ides et Calendes 1965, (p.150)