Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes

La ressemblance dans l’icône

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Je vous partage aujourd’hui une réflexion sur la difficulté à représenter dans une icône des saints qui ont vécu récemment et dont on connaît le visage par des photographies ou même des films. Comment faire pour les reconnaître, qu’ils soient à la fois fidèles à leur image terrestre et évoquent les personnages transfigurés que sont les saints. 

C’est très facile pour un saint des premiers siècles dont personne ne connaît l’aspect physique véritable. Tout en essayant de représenter le personnage de façon la plus spirituelle possible, on s’attache à respecter quelques éléments physiques. Ainsi saint Pierre est toujours coiffé de jolies boucles grises bien organisées, tandis que saint André semble toujours ébouriffé. Saint Jean-Baptiste est bien maigre quand saint Paul est quasiment chauve. 

La plupart du temps, les personnages sont représentés à un stade bien défini de leur vie. Saint Séraphin de Sarov ou Élie sont toujours figurés âgés, tout comme « le vieillard » Syméon. On rencontre quelques exceptions comme saint Jean, tantôt jeune au pied de la croix, tantôt âgé en compagnie de Marie ou dictant l’Apocalypse à son disciple. La couleur des vêtements, ainsi que d’autres attributs sont une constante. 

Cela devient plus difficile lorsqu’on cherche une ressemblance terrestre. Comment traduire les joues rebondies de sainte Thérèse ? Faut-il mettre des lunettes à Mère Marie ou à saint Maximilien Kolbe ? Faut-il garder l’inclinaison de la tête caractéristique de Charles de Foucauld ? Le résultat est souvent décevant et ne traduit pas correctement le saint, comme personne irradiée de lumière divine.

Tout le monde n’est pas d’accord sur cette question et la frontière est difficile à trouver. Comme d’habitude, ma position est intermédiaire. Il faut tenir les deux ensemble : reconnaître le saint représenté tout en lui gardant son image de transfiguré.

Je n’ai pas trouvé mieux pour expliquer ce point de vue que cet article publié par l’iconographe Agnès Glichitch et intitulé « Les marques de la souffrance en iconographie ». Le sujet est un peu différent de celui que j’évoque, mais néanmoins donne de précieuses pistes de réflexion. Avec son accord, je vous en livre ci-dessous de larges extraits. Vous pouvez retrouver l’intégralité ici.

« (…) Est-il légitime de peindre sur une icône, des lunettes à un saint qui avait l’habitude d’en porter lorsqu’il vivait sur cette terre ? Pour beaucoup cette question paraîtrait sinon curieuse, au moins  » byzantine  » ! N’est-ce pas un vraiment un détail ? Or il s’avère que, comme souvent, un  » point de détail  » cache des implications (…) essentielles.

Pour beaucoup, il semblerait (…) que les règles de l’iconographie l’interdisent. Or, où trouve t’on de telles règles ? En effet, la question se pose uniquement pour des saints contemporains dont nous avons des photos et des témoignages. Les saints plus anciens n’ont jamais été représentés avec des lunettes, sans doute n’en portaient-ils pas. Est-ce suffisant pour les interdire ? Bien évidement non.

Mais ce n’est pas non plus suffisant pour les admettre…. L’icône est trop importante pour se permettre de faire n’importe quoi, sans réfléchir. Et si l’on creuse un peu le problème, on se rend compte qu’il touche des points essentiels. Parce que l’icône est véritablement un témoin essentiel de la foi.

L’argument principal de ceux qui interdisent les lunettes, est que l’icône est image du Royaume, représentant des êtres transfigurés, qui ne sont donc plus sujets aux faiblesses ou souffrances d’ici-bas. » (…)

L’argument est tout à fait juste, on ne peut imaginer un saint souffrant encore d’une quelconque infirmité. On ne peut l’imaginer ayant encore besoin de lunettes !… Vu sous cet angle, qui pourrait contester une telle affirmation ?

Ceci étant dit, ne peut-on pas malgré tout envisager la chose un peu autrement ? (…) si l’on pousse l’argument au-delà (…) on pourrait se demander s’il est légitime (…) de représenter (…) des scènes de martyre de saints ou même la Passion de notre Seigneur ! Ou (…) pourquoi saint Séraphim de Sarov, lui qui s’est pourtant montré transfiguré à son disciple Motovilov, est si souvent figuré sur ses icônes voûté et s’appuyant sur un bâton ? Pourquoi également représente t-on une nouvelle sainte russe née aveugle, sainte Matrona, les yeux fermés sur son icône ? Ou encore plus généralement, pourquoi montrer des saints marqués par l’âge, ridés, avec cheveux blancs et le cas échéant, barbes blanches ? Ne pourrait-on pas les montrer tous jeunes, ou dans la force de l’âge ? La vieillesse et le cortège de ses infirmités auraient-ils donc encore droit de cité dans le Royaume des Cieux ? Bien évidement non ! Et pourtant tout cela est bien montré sur les icônes, sans que cela soulève la moindre indignation…

Alors pourquoi ? Y a-t-il vraiment une différence de nature avec la question qui nous préoccupe ? Je ne le crois pas. Le problème posé est le même : il y a bien des signes de faiblesse et de souffrance représentés sur les icônes. Et ce n’est pas illégitime.

C’est que la Transfiguration n’est pas une notion abstraite. La Transfiguration est celle d’une personne, unique, qui a vécu et a donc souffert (…) ! S’il n’y aura plus de souffrance dans le Royaume, cela ne gommera pas le fait qu’il y en a eu ! Les faiblesses et souffrances de chacun font partie de nos vies, on ne peut pas faire  » comme si  » ! Comme si tout d’un coup ce que l’on a vécu n’avait pas été vécu… Si en Dieu, il n’y aura plus de souffrance ni de mort,  » s’Il essuiera lui-même toutes larmes de nos yeux « , comme l’affirme l’Apocalypse, c’est que précisément il y en aura eu… 
(…)
Et en quoi sont donc transformées ces marques de souffrances, qui de fait n’en sont plus à proprement parler ? En signes de reconnaissance. Comment le Christ ressuscité se fait-il reconnaître ? En montrant ses plaies… Ses disciples ne finissent par le reconnaître qu’ainsi ! Et pas seulement St Thomas qui a eu le courage de l’exprimer et qui finit par confesser le Christ comme son Seigneur et son Dieu !
(…)
C’est pourquoi je me permets sur mes icônes représentant le Christ en gloire, de poser une tache sur Ses mains et Ses pieds, mais en or…. Ai-je tort ? Et pourquoi ne le ferait-on pas sur ses icônes le présentant en Enseignant ? N’est-ce pas le Christ vivant, aujourd’hui qui est figuré sur toute icône ?

Alors bien sûr, pourquoi ne pas faire aussi porter des lunettes à un saint pour mieux le reconnaître ? De même que tel saint sera représenté âgé, parce que c’est ainsi qu’il a laissé le souvenir de ce qu’il était.

Si l’icône est effectivement un témoignage du Royaume, de la Transfiguration, elle est aussi et pas moins témoignage de l’Incarnation ! C’est-à-dire au-delà et à travers celle du Christ, Dieu fait homme, elle présente des êtres réels, qui ont vécu dans ce monde et y ont aussi souffert. Elle le rappelle, de même qu’elle témoigne de leur gloire.
Le mode d’opération de l’icône est la ressemblance, inséparable du nom qui l’authentifie. Il est donc fondamental de l’on puisse reconnaître celui qui est représenté, et cela peut aussi passer par des signes de blessures… qui n’en sont plus. »

J’aime beaucoup l’idée de considérer ces détails comme des « signes de reconnaissance », permettant, en entrant dans une église emplie d’icônes ou de fresques, de reconnaître chaque personnage du monde invisible, nous réunissant alors à travers le temps et l’espace.

Auteur : elisabethlamour

peintre d'icônes

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