Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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L’orpiment

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes artistes médiévaux semblaient n’avoir peur de rien lorsqu’ils préparaient leurs couleurs… Cennino Cennini, dans son Livre de l’art, consacre deux chapitres différents à l’orpiment et au réalgar.  La similitude entre les deux est très grande : ce sont des sulfures d’arsenic que l’on rencontre à l’état naturel mais qui ont été, à certaines époques, produits artificiellement. Vitruve et Pline l’Ancien les citent fréquemment ; aussi, il est certain que leur usage remonte à l’Antiquité.

Commençons par l’orpiment, pigment aussi connu sous le nom de jaune de Perse, car les Égyptiens l’importaient de loin. Des inscriptions sur une boîte en bois retrouvée dans la tombe de Toutankhamon ainsi que sur le décor d’une tête de Nefertiti, témoignent de l’ancienneté de son emploi.

Pline raconte dans son Histoire naturelle que l’empereur Gaïus, passionné d’alchimie et très attiré par la belle couleur jaune dorée de l’orpiment, en aurait fait griller de grandes quantités, dans l’espoir fou d’obtenir de l’or.

Au Moyen Âge, on savait fabriquer l’orpiment en mélangeant du réalgar avec du soufre. Les alchimistes connaissaient bien cette couleur, alors très à l’honneur en raison de sa tonalité orangée lumineuse. Les enlumineurs recommandaient l’orpiment pour remplacer l’or. Il était alors broyé, puis mélangé avec de l’eau et un liant protéique comme l’œuf ou la colle de parchemin. Beaucoup de manuscrits irlandais du premier millénaire, tels Le Livre de Kells, ou d’autres manuscrits britanniques, byzantins, français ou italiens, doivent à l’orpiment une part de leur magnificence.

Cennini semble apprécier, lui aussi, cette tonalité quand il écrit : « elle est d’un jaune plus beau et plus semblable à l’or qu’aucune autre couleur ». Il raconte comment broyer et préparer l’orpiment, précisant que le pigment est particulièrement difficile à traiter en raison de sa dureté. Il évoque ensuite son usage médicinal, indiquant qu’il peut permettre de « soigner les éperviers contre une certaine maladie » – mais sans préciser laquelle !

Il met cependant ses lecteurs en garde, précisant que l’orpiment n’est pas stable et peut noircir au contact de l’air ; il recommande de l’éviter pour les fresques et les techniques à l’eau. Il n’hésite pas à évoquer sa particulière toxicité achevant son chapitre par ces mots : « Garde-toi d’en souiller ta bouche, de peur que ta personne n’en pâtisse ». Pourtant, les Sumériens comme les Romains avaient recours à l’orpiment pour fabriquer des pâtes dépilatoires : cette tradition, qui a de quoi nous étonner quand on en connaît la composition, a longtemps perduré en Orient !

On le comprend, plus que la quête de la couleur jaune, les peintres médiévaux étaient conduits par l’espoir fou de réussir à égaler la brillance et la luminosité de l’or.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).  On peut retrouver certains podcasts  ici

Émission du 4 mars 2019


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Le giallorino ou « jaune de Naples »

OLYMPUS DIGITAL CAMERAAprès l’ocre jaune, Cennino Cennini, dans son Livre de L’art, passe à la description des tonalités de jaunes du Moyen Âge : le giallorino, l’orpiment, le réalgar, le safran et l’àrzica. Comme toutes les couleurs, le jaune véhicule deux significations opposées : la lumière dans sa face positive, la trahison et le mensonge de l’autre côté. La réputation négative (sulfureuse ?) de cette couleur tient peut-être à la toxicité de la plupart des jaunes médiévaux, à l’espérance jamais vraiment réalisée de les voir égaler l’or, à leur façon de s’éteindre au moindre ajout de noir… Dans l’histoire de la peinture, il faut attendre les impressionnistes pour que le jaune se hisse sur le devant de la scène.

La couleur que Cennini appelle giallorino (on dit aussi « giallolino ») ou jaune antimoine est un mélange complexe d’antimoine et d’oxydes de plomb. On lui donne aussi le nom de jaune de Naples puisque le minerai brut aurait été extrait assez précocement du tuf volcanique provenant de la lave du Vésuve. Cennino Cennini accorde crédit à cette tradition puisqu’il décrit le giallorino comme « une pierre, originaire des grandes montagnes brûlantes » ; mais depuis très longtemps, on fabrique également cette couleur artificiellement.

On trouve trace du giallorino dès le 2e millénaire avant J.-C. : il s’agit probablement du seul pigment jaune utilisé dans les céramiques et dans l’art du verre en Égypte ancienne et en Mésopotamie. Il s’éclipse à la fin de l’Antiquité pour refaire parler de lui, à la fin du Moyen Âge. On l’utilise dans l’enluminure et la peinture, mais les informations concernant cette couleur sont incertaines. Certains affirment qu’il s’agit d’un produit naturel trouvé à proximité des mines de soufre ou sur les bords des volcans. D’autres décrivent des procédés de fabrication contradictoires et fantaisistes. Cennini en dit lui-même peu de choses, si ce n’est qu’on peut préparer artificiellement le giallorino, sans avoir recours à l’alchimie.

Cennini le décrit comme « un très joli jaune » avec lequel on réalise « de beaux feuillages et des teintes d’herbes ». Bien fabriqué, le pigment s’avère très solide, assez couvrant, et stable à la lumière. La seule altération mentionnée est un noircissement au contact du fer. C’est pourquoi, les anciens recommandent de broyer le pigment avec une pierre comme le porphyre, et de ne pas l’appliquer au moyen d’un couteau ou d’une spatule en acier.

Aujourd’hui, l’appellation jaune de Naples désigne une teinte plutôt qu’une composition chimique, laquelle serait bien trop toxique. Le substitut actuel est un mélange d’oxyde de zinc et de dioxyde de titane, qui produit une très jolie tonalité jaune clair, légèrement rosée, et occupe une place de choix sur la palette des amoureux de peinture à l’huile.

Nous découvrirons, la semaine prochaine, des jaunes médiévaux encore plus toxiques !

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).  On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 18 février 2019


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Saint Païssios de l’Athos

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Sain Païssios de l’Athos, icône sur tilleul 23 x 30,5 cm, 2019

Oσιος αΐσιος Ἁγιορείτης 

Ce saint tout récent, vénéré dans l’église orthodoxe, a été canonisé en 2015.

Cette icône a été offerte à un prêtre ami par ses paroissiens, à l’occasion de ses dix ans de sacerdoce. Il avait rencontré Païssios de son vivant et en avait été très influencé (j’attends, j’ai hâte qu’il me raconte). J’ai eu la chance de la réaliser, et de faire une belle rencontre avec saint Païssios.

Il s’appelait Arsenios Eznepidis quant il naquit en 1924 en Cappadoce, peu avant l’échange de population entre la Grèce et la Turquie. Son nom lui vient de saint Arsenios le Cappadocien, qui le baptise en annonçant son avenir monastique.

La famille s’installe ensuite à Épire où Arsenios grandit et apprend la menuiserie.

Après avoir terminé son service, il se rend au mont Athos où il devient novice. Il prend le nom de Païssios en 1957.

L’année suivante, il lui est demandé de passer quelque temps dans et autour de son village d’origine afin de soutenir des fidèles en difficulté. En 1962, il se rend au monastère Sainte-Catherine du Sinaï où il reste deux années et se lie d’amitié avec des bédouins.

À son retour en 1964, Païssios s’installe à l’extrémité la plus méridionale du mont Athos. Mais sa santé défaillante l’oblige rapidement à quitter ces lieux isolés.

En 1966, il subit une opération lui enlevant une partie des poumons. Pendant son hospitalisation, il se lie d’amitié avec la confrérie de Saint Jean théologien à Souroti, près de Thessalonique. Lors de son opération, il a besoin d’une grande quantité de sang et un groupe de novices du monastère lui en fait don.

En 1968, il passe du temps au monastère de Stavronikita avant de déménager, dix ans plus tard, dans un ermitage dépendant d’un autre monastère. Là, sa renommée grandit. Il prie, assiste, écoute et conseille ses visiteurs, se reposant très peu. 

En 1993, Paisios quitte le mont Athos pour se faire soigner. Il est diagnostiqué d’un cancer nécessitant une intervention immédiate, mais sa santé ne lui permettra pas de revenir au mont Athos malgré son désir.

Il naît au ciel en 1994.

Sa fête est fixée au 12 juillet.

Article du 12 février 2019


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Saint Camille de Lellis, patron des infirmiers

Camille de Lellis

Icône 17,5 x 22,5 cm sur bois travaillé en relief, 2019

Camille de Lellis est le fondateur de l’ordre des camilliens, « serviteurs des malades » et, à ce titre, considéré avec Jean de Dieu, comme le saint patron des infirmiers et le protecteur des hôpitaux et des malades.

Camille naît le 25 mai 1550 dans les Abruzzes. Orphelin de mère, son éducation est plutôt négligée par son père officier. Il devient soldat très jeune. Pendant son service, il se prend de passion pour le jeu, au point de se retrouver parfois complètement dépouillé ! La bonté d’un moine l’incite à demander son admission chez les capucins, mais on le refuse. Il se rend alors à Rome où il obtient un emploi dans un hôpital. Il espère, par la même occasion, se faire soigner d’un grave ulcère à la jambe dont il souffre depuis longtemps. Mais il est chassé à cause de son tempérament querelleur et de sa passion pour le jeu. Il retourne à la vie militaire avant de postuler de nouveau pour la vie monastique et un travail à l’hôpital ; mais son infirmité et ses penchants constituent un grand obstacle. Une amélioration temporaire de santé lui permet de devenir infirmier, puis de gagner la confiance de ses supérieurs jusqu’à obtenir des responsabilités.

Il essaye sans succès de fonder un ordre d’infirmiers laïcs et, sur le conseil de ses amis, parmi lesquels son guide spirituel, saint Philippe Neri, il se résout à devenir prêtre.

Il a alors trente-deux ans et étudie au Collège Jésuite de Rome. Il établit ensuite son ordre, les Pères de la Bonne Mort consacré aux malades, même les plus contagieux. Le pape confirme la congrégation et Camille en est le premier supérieur.

Deux ans plus tard, une maison est établie à Naples. Deux membres de la communauté visitent des malades gravement atteints dans un bateau mis en quarantaine dans le port et succombent : c’est bien la vocation de l’ordre de ne reculer devant aucune situation !

L’infirmité de Camille le poursuit toute sa vie et sa santé précaire lui rend parfois la vie difficile. Il ne permet à personne de s’occuper de lui, et même très faible, continue à soigner les malades qui semblent renouveler son ardeur et ses forces.

Il démissionne du généralat de l’ordre en 1607 pour se consacrer aux malades et aux pauvres et fonde de nombreuses maisons dans différentes villes d’Italie. On dit qu’il a le don de miracles et de prophéties.

Il meurt d’épuisement à Rome le 14 juillet 1614, âgé de soixante-quatre ans, en prononçant un appel vibrant à ses frères. Les miracles qui lui sont attribués sont officiellement reconnus et il est béatifié puis canonisé au milieu du XVIIIe siècle.

Saint Camille de Lellis est représenté en habit noir avec une croix rouge, tenant parfois une croix, parfois des onguents.

Article du 11 février 2018


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L’ocre jaune d’après Cennini

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes ocre jaune, utilisés en peinture depuis la Préhistoire, sont des argiles contenant des oxydes de fer, plus ou moins hydratés. Le composant coloré le plus important est le minerai appelé limonite, un oxyde de fer hydraté. Le mot ocre vient du grec et signifie couleur d’œuf, mais on le sait, il existe une infinité de nuances d’ocres, tendant tantôt vers le rouge, tantôt vers le vert, le brun ou le jaune. L’ocre jaune est une des couleurs les plus présentes dans nos palettes de peintres d’icônes et symbolise la lumière. Elle est posée sur les fonds, et à un certain moment sur les visages, pour évoquer la part de lumière rayonnant en chaque personne.

Cennini décrit essentiellement l’ocre jaune, et j’ai gardé presque intégralement le poétique chapitre dans lequel il associe cette couleur avec des souvenirs d’enfance attachés à sa ville natale, Colle di val d’Elsa, située près de Sienne, en Toscane. Écoutons-le :

« Il existe une couleur naturelle jaune, appelée ocre. On la trouve dans la terre des montagnes, là où il y a certaines veines ressemblant à du soufre ; et là où sont ces veines, on trouve de la sinopia, de la terre verte, et d’autres sortes de couleurs. Je découvris ce jaune, guidé un jour par Andrea Cennini, mon père, alors qu’il me conduisait sur le territoire de Colle di Val d’Elsa (…). Arrivé dans un petit vallon, dans un grotte très sauvage, je raclais la roche avec une pioche et je vis des veines de plusieurs sortes de couleurs ; c’est-à-dire de l’ocre, de la sinopia foncée et claire, de l’azur et du blanc ; et je considérai comme le plus grand miracle du monde le fait que le blanc puisse se trouver dans une veine de terre (…). Et sur ce terrain, ces couleurs se voyaient autant qu’une cicatrice sur le visage d’un homme ou d’une femme.

Pour revenir à cette couleur d’ocre, j’allais avec mon canif à la recherche d’une « cicatrice » et je te promets que jamais je ne goûtai une couleur d’ocre plus belle et plus parfaite. Elle n’était pas aussi claire que le giallorino ; à peine un peu plus sombre ; mais jamais je ne trouvai meilleure couleur que cet ocre, pour les chevelures et les vêtements comme je te l’apprendrai plus loin. Il en existe de deux sortes, l’une claire, l’autre foncée. Chacune demande à être broyée de la même façon, avec de l’eau claire ; et broie-les bien, elles seront de plus en plus parfaites (…) »

Pour comprendre vraiment ce récit et la description des veines d’ocre dans toutes ces nuances, rien ne vaut une promenade dans les carrières d’ocre du Roussillon, à l’heure où la lumière met si bien en évidence la subtile variété de ses tonalités…

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).  On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 11 février 2019


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Le rouge laque

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Laque rouge sur un plateau laqué !

À l’origine, une laque est une résine issue de la sève, en général très toxique, de divers arbustes. Celle-ci forme, en séchant, un revêtement solide, résistant aux intempéries, imperméable et imputrescible. La laque apparait en Chine, il y a plus de 3 000 ans, et la technique se développe ensuite dans toute l’Asie du sud-est. Appliquée sur le bois, elle le protège en l’imperméabilisant.

Autrefois, la couleur de la laque était obtenue par des colorants naturels d’origine animale ou végétale. Citons le kermès, la cochenille, la pourpre du murex ou la gomme laque, la garance, le bois-brésil ou l’orseille.

À l’époque de Cennini, on n’utilisait plus la laque décrite par Pline l’Ancien, alors composée de pourpre et de farine siliceuse. Mais on ne connaissait pas encore le pigment issu de la cochenille, arrivée en Europe seulement au début du XVIe siècle avec la conquête du Mexique.

En revanche, durant tout le Moyen Âge, les laques creusent leur place dans les ateliers des peintres.

Le bois brésil est alors importé de Ceylan, en provenance du port de Colombo. Sa tonalité est plus proche du rose que du rouge, et la nuance exacte est réalisée en faisant varier les mélanges avec l’alun, l’urine ou la chaux.

Cennini affirme disposer de plusieurs recettes de laques rouges. Il commence par décrire une technique qui donne une  couleur « très belle à l’œil » mais sans aucune stabilité. Celle-ci est obtenue en utilisant de la bourre de soie rouge colorée au kermès, puis décolorée à la cendre ou à l’urine, filtrée et enfin précipitée avec de l’alun.

La laque est aussi fabriquée à partir du kermès, un insecte parasite des branches d’une variété de chêne. Le carmin, très onéreux, provient d’une cochenille du Népal.

Cennini préconise l’utilisation de la laque « faite à partir de la gomme ». Il la décrit comme sèche, maigre, granuleuse, ressemblant à de la terre et couleur de sang. On peut supposer qu’il s’agit de gomme-laque ou du produit obtenu en traitant, à plusieurs reprises, la sécrétion résineuse de l’insecte Kerria lacca, une chenille asiatique avec de la soude puis de l’alun.

Ce qu’on appelle laque aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec les laques antiques ou médiévales, hormis leur aspect brillant et coloré. La composition est complètement différente, et les produits dépourvus des propriétés incroyables de souplesse, de longévité et d’adhérence de la laque traditionnelle.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).  On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 4 février 2019


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L’ange Gabriel et le lotus

Gabriel et le lotus

Icône sur tilleul, 15 x 18 cm, 2019

Voici une icône un peu particulière, une réalisation née d’un échange riche et intense, une histoire, une intention, très forts : bref, le genre de travail et de cheminement qui donne tout son sens à ma vie de peintre d’icônes.

En effet, il s’agissait de réaliser une icône, qui partira en Malaisie, pour marquer et accompagner le bref et lumineux passage terrestre d’une toute petite fille. Cela s’est passé le 23 novembre, jour de fête des lumières (Karthigai Deepam), célébrée par les Hindous, originaires notamment du Tamil Nadu et du Kerala, en symbole de la victoire de la lumière sur l’obscurité.

Le jour même de cette naissance sur terre puis au ciel de l’enfant, le lotus du jardin de ses parents fleurissait. L’archange Gabriel s’est imposé à eux, comme une évidence. Peu de temps après, l’idée d’une icône, qui marquerait et accompagnerait cette étape de leur vie, a germé : un signe, une trace.

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Le lotus du jardin

Mais un ange avec un lotus ? J’ai alors entrepris quelques recherches pour découvrir que diverses traditions relient Gabriel avec le lotus. Ainsi, dans le Coran, on trouve ce verset : « Il l’a pourtant vu à nouveau, lors d’une autre descente, près du lotus de la limite, près duquel se trouve le Paradis rempli de bienfaits » [Coran 53 ; 13 à 15].

Quant à la maman, elle m’a parlé du lotus, une fleur sacrée pour les Hindous : « Je retiens notamment l’idée d’enracinement dans l’ordre matériel permettant une élévation spirituelle. Il me semble que, plus généralement, pour les Asiatiques, sa longue tige symbolise le lien familial qui permet de maintenir la tête hors de l’eau. Par ailleurs, j’ai lu que Gabriel a été représenté avec des lotus avant que la tradition grecque ne les transforme en nénuphars blancs»

La posture du modèle retenu (icône byzantine du XIIIe siècle, Monastère Sainte-Catherine, Sinaï) convenait parfaitement à ce projet, avec une main ouverte comme dans les icônes de l’Annonciation, signe qui signifie : « j’accueille, j’accepte ce qui vient, même si ce n’est rien de ce que j’avais imaginé ou espéré ».

Le choix du bleu, une couleur habituelle pour l’ange Gabriel, a permis de mettre en évidence le lotus. Et le vert malachite du cadre s’est imposé pour donner à tout ce chemin une orientation d’espérance. Enfin, nous avons rajouté le nom en tamoul, pour témoigner d’un héritage multiple.

Au cours de la réalisation de l’icône, j’ai envoyé aux parents des photos de chacune des étapes de la réalisation, et ils les ont transmises à quelques proches qui ont à leur tour partagé leur réaction et leur sentiment. Cette icône témoigne d’un moment intense, tout le sens d’une « œuvre commune » qui relie à sa façon le visible et l’invisible, un tissage de liens, d’accompagnement et de soutien,

Article du 1er février 2019