Lundi, nous faisions route entre Chartres et Nevers. Quelle tristesse de voir défiler un paysage de cultures intensives de maïs sur-irriguées en alternance avec des zones industrielles ou commerciales bétonnées. Mais les belles surprises ne sont jamais loin… Soudain, un panneau sur la droite nous indique « oratoire carolingien de Germigny-des-Prés ». Mais oui, allons-y ! Dans le silence des midis d’été, nous découvrons un village tranquille, une jolie place bordée d’arbres. Un bâtiment dont la partie la plus ancienne date du IXe siècle surprend par sa grâce. On pousse la porte avec respect, et là, c’est l’émerveillement en découvrant les proportions de l’église carolingienne, et surtout une superbe mosaïque dans ce qui est devenu l’abside.
L’église primitive consacrée en 806 était à l’origine la chapelle privée de Théodulf, à la fois fin lettré, amateur d’art, évêque d’Orléans, abbé de Saint-Benoît-sur-Loire (ce sera l’objet d’un prochain article) et conseiller de Charlemagne.
Largement modifiée au fil du temps, l’église a connu bien des outrages : incendies au IXe siècle, destructions partielles pendant les guerres de religion, restaurations diverses etc., mais l’essentiel demeure ou renaît au fil du temps. Eudes de Metz pourrait avoir été le premier architecte de l’église, conçue selon un plan oriental courant au VI ou VIIe siècle : une croix inscrite dans un carré à quatre absides.
La mosaïque, comme c’est souvent le cas, a été recouverte à une époque où le style oriental semblait sans intérêt, d’un épais badigeon qui l’a finalement protégée. On raconte que les enfants du village récupéraient parfois les tesselles qui dépassaient pour le plaisir de la couleur et du jeu ! Enfin, au milieu du XIXe siècle commence sa redécouverte, sa restauration et sa protection. Aujourd’hui, l’église est classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
La mosaïque de plus de 130 000 tesselles smalt, bleu clair, vert, gris-vert, ocre, noir, dorées et argentées, recouvre un pan de mur 6,25 mètres sur 4,60 mètres.
Le sujet est très intéressant car il témoigne de l’époque. Là où une église byzantine aurait choisi de placer le Christ ou la Mère de Dieu, l’artiste a représenté l’Arche d’Alliance, un choix symbolique et beaucoup moins figuratif : l’Arche rappelle la Première Alliance, mais symbolise le Christ qui a révélé l’Alliance. La raison est simple, nous nous situons en Occident, sous le règne de Charlemagne, au IXe siècle. La crise iconoclaste vient de se terminer mais Théodulf, et avec lui la plupart des théologiens occidentaux, ne sont pas partisans de la représentation figurée.
Le sujet est défini par une inscription en lettres argentées posées sur un fond bleu sombre, quatre vers en latin que l’on peut traduire ainsi : « Vois ici et contemple le Saint Oracle et ses chérubins, ici resplendit l’Arche du Testament Divin. Devant ce spectacle, efforce-toi de toucher par tes prières le Maître du Tonnerre et ne manque pas, je t’en prie, d’associer Théodulf à tes vœux ».
L’Arche d’Alliance est représentée sous la forme d’un coffre rectangulaire muni de brancards pour le transporter, et posé sur un sol figuré par une large bande d’or.
Elle est ornée de deux chérubins qui se tiennent debout, vêtus d’une tunique d’or, s’inclinant gracieusement pour nous indiquer le coffre. Leur chevelure est rouge feu et les auréoles teintées d’argent.
Au sommet de la voûte, la Main de Dieu, venue d’un ciel étoilé, traverse une mandorle (1) rouge et or.
Les deux grands anges mesurent presque deux mètres et sont nimbés d’or. Leurs corps, dans des postures pratiquement symétriques, épousent la voûte et leurs ailes sont largement déployées. Ils sont vêtus d’une longue tunique claire et chaussés de
sandales. De l’index d’une main, ils montrent l’Arche. L’autre main est tournée vers nous en signe d’acceptation. Remarquons que l’ange de gauche porte l’auréole cruciforme spécifique au Christ. N’y aurait-il pas là une préfiguration de la représentation de la Trinité ? Je n’ai lu cette explication nulle part, mais je pense qu’elle n’est pas à écarter.
Cette représentation ainsi placée est très rare, et même unique en France. On est à peu près certain que la mosaïque est l’œuvre d’un mosaïste byzantin proche de l’école de Ravenne, et qu’elle témoigne de l’état d’esprit et du mélange d’influences qui régnaient au lendemain de la crise iconoclaste. Le mosaïste, et derrière lui Théodulf, se situent à mi-chemin entre les iconoclastes « radicaux » dirait-on aujourd’hui et la position des partisans byzantins des images.
(1) voir l’article ici
Article du 31 juillet 2019