Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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La chapelle du volcan Santa Margarida

Je ne suis pas une grande marcheuse, surtout quand « ça monte » ! Mais parfois, un endroit m’attire irrésistiblement. Ce fut le cas récemment de la chapelle Santa Margarida, tout près de Santa Pau, en Catalogne.

Nous traversions le parc naturel de la zone volcanique de la Garrotxa quand j’entendis parler d’une insolite chapelle romane nichée dans le cratère d’un volcan… Et nous voilà partis malgré la montée bien raide sur les flancs du volcan ; je continuai la route vaillamment, essoufflée, aimantée, sans savoir pourquoi, par ce lieu.

Après cette longue et épuisante montée, la chapelle se devine à travers les frondaisons printanières, tout au fond du cratère. On descend alors tranquillement jusqu’à une sorte de prairie où elle se découvre : j’ai été immédiatement charmée et habitée par l’ambiance du lieu.

On ne connaît pas très bien l’origine de la construction de la chapelle qui a donné son nom au volcan âgé de 11 000 ans dans lequel elle se niche ! Sa première édification n’est pas documentée mais remonte probablement au XIIe siècle. Un premier ermitage est attesté avant le XVe siècle, malheureusement détruit par un tremblement de terre en 1428.

La chapelle fut reconstruite en 1865 dans un style roman avec un plan d’une grande simplicité et une nef unique. Malheureusement, j’ai trouvé porte close, comme c’est si souvent le cas. Il paraît qu’à l’intérieur se trouve la reproduction d’une icône dont l’histoire est liée à la chapelle. L’icône originale serait conservée dans un musée. Je n’en sais pas plus car lors de notre passage, une panne informatique majeure affectait la région, et les documents habituels n’étaient pas disponibles. Si l’un de mes lecteurs a une information plus précise, j’en serais ravie !

Cette chapelle a probablement été édifiée, puis dédiée à sainte Marguerite d’Antioche dans l’espoir de protéger les habitants du feu de la lave. Il n’y a désormais plus de risque d’éruption car la Garrotxa est un champ volcanique monogénique où chaque volcan n’éclate qu’une seule fois. La zone reste toutefois très sensible aux secousses sismiques.

Chaque année, le 20 juillet, des fidèles enfilent leurs chaussures de randonnée afin d’assister aux célébrations dédiées à sainte Marguerite d’Antioche… Quant à moi, j’ai passé un moment délicieusement apaisant et ressourçant en ce lieu ; je sais que cette chapelle prendra désormais sa place parmi la liste de mes lieux symboliques préférés.

La merveilleuse forêt dans la vallée, en contrebas du volcan…


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Poser le regard

Icône sur tilleul, 25 x 30 cm, 2024

La personne qui m’a commandé cette icône s’appelle Pierre. Il m’a d’abord partagé son émotion à découvrir ce verset, présent seulement dans l’Évangile de Luc : « Le Seigneur, se retourna, posa son regard sur Pierre » (Luc 22, 61). En effet, les quatre évangélistes racontent bien ce qu’on appelle « le reniement de Pierre ». Mais seul Luc mentionne ce détail du regard.

Que disait ce regard ? Sans doute bien plus que des mots, puisque dans le verset suivant, Pierre semble « comprendre » immédiatement ; juste après, « il sortit et pleura amèrement »… J’ai essayé de traduire cela dans cette icône et réfléchi à l’analogie entre « poser le regard sur l’icône » (le geste du peintre) et poser son regard sur quelqu’un.

On sait que dans la réalisation de l’icône, le regard est « posé » seulement à la fin. J’ai essayé, pendant tout le cheminement de la peinture, d’imaginer le regard du Christ qui donne simplement à Pierre sa valeur entière d’être humain, malgré le reniement, un regard qui l’autorise, après les larmes, à continuer dignement sa route. Regarder, tout simplement regarder quelqu’un, lui confère toute sa dignité, toute son humanité et peut l’aider à se reconstruire et à grandir.

J’aime cette idée : qu’on se rencontre, qu’on trinque ou qu’on donne quelques pièces à un mendiant, le geste ne prend son ampleur et sa justesse que s’il est accompagné d’un regard (j’avoue éprouver un grand malaise quand une personne me salue en me serrant la main sans me regarder…).

Quand nous peignons une icône, jour après jour nous vivons une expérience profonde, transformante, bouleversante. Il n’est pas facile de la partager avec des mots. Qui peut comprendre l’expérience troublante de la pose du regard sans l’avoir vécue, ou au moins y avoir assisté ? Ce visage posé sur la planche, peu expressif jusqu’alors, se met à vivre par la seule grâce de quelques coups de pinceau : poser un peu de brun pour la pupille, puis un peu de blanc léger juste à côté ; cerner de noir intense, ajouter une touche de blanc de titane et une minuscule pointe de rouge dans un coin… et le regard est là, l’icône est présente, embrasante…

Puissions-nous agir ainsi avec nos frères humains : poser sur eux un regard tel qu’on le pose sur l’icône, les regarder, les regarder vraiment, quels que soient leurs manquements ou leurs trahisons, pour qu’ils continuent dignement sur leur route humaine, malgré tout.

« Devant une icône, les regards s’unissent, communient dans le regard de celui qui est représenté, abîmé dans la contemplation d’un mystère de feu qui donne au visage sa concentration pensive et lumineuse. La contemplation de l’icône peut être l’apprentissage de la qualité du regard que je poserai sur le monde et sur les hommes. Cette contemplation suscite la présence de l’Esprit Saint, qui nous révèle l’image du Père et du Fils de façon paradoxale puisqu’il est la seule personne de la Trinité à ne pas avoir de visage ». (Parole orthodoxe, article de Père Michel Evdokimov p. 86, SOP, Cerf, Paris, 2000)

Pour aller plus loin ces deux articles : le regard dans l’icône, Quelques réflexions sur le regard et le sourire dans l’icône


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La ressemblance dans l’icône

Je vous partage aujourd’hui une réflexion sur la difficulté à représenter dans une icône des saints qui ont vécu récemment et dont on connaît le visage par des photographies ou même des films. Comment faire pour les reconnaître, qu’ils soient à la fois fidèles à leur image terrestre et évoquent les personnages transfigurés que sont les saints. 

C’est très facile pour un saint des premiers siècles dont personne ne connaît l’aspect physique véritable. Tout en essayant de représenter le personnage de façon la plus spirituelle possible, on s’attache à respecter quelques éléments physiques. Ainsi saint Pierre est toujours coiffé de jolies boucles grises bien organisées, tandis que saint André semble toujours ébouriffé. Saint Jean-Baptiste est bien maigre quand saint Paul est quasiment chauve. 

La plupart du temps, les personnages sont représentés à un stade bien défini de leur vie. Saint Séraphin de Sarov ou Élie sont toujours figurés âgés, tout comme « le vieillard » Syméon. On rencontre quelques exceptions comme saint Jean, tantôt jeune au pied de la croix, tantôt âgé en compagnie de Marie ou dictant l’Apocalypse à son disciple. La couleur des vêtements, ainsi que d’autres attributs sont une constante. 

Cela devient plus difficile lorsqu’on cherche une ressemblance terrestre. Comment traduire les joues rebondies de sainte Thérèse ? Faut-il mettre des lunettes à Mère Marie ou à saint Maximilien Kolbe ? Faut-il garder l’inclinaison de la tête caractéristique de Charles de Foucauld ? Le résultat est souvent décevant et ne traduit pas correctement le saint, comme personne irradiée de lumière divine.

Tout le monde n’est pas d’accord sur cette question et la frontière est difficile à trouver. Comme d’habitude, ma position est intermédiaire. Il faut tenir les deux ensemble : reconnaître le saint représenté tout en lui gardant son image de transfiguré.

Je n’ai pas trouvé mieux pour expliquer ce point de vue que cet article publié par l’iconographe Agnès Glichitch et intitulé « Les marques de la souffrance en iconographie ». Le sujet est un peu différent de celui que j’évoque, mais néanmoins donne de précieuses pistes de réflexion. Avec son accord, je vous en livre ci-dessous de larges extraits. Vous pouvez retrouver l’intégralité ici.

« (…) Est-il légitime de peindre sur une icône, des lunettes à un saint qui avait l’habitude d’en porter lorsqu’il vivait sur cette terre ? Pour beaucoup cette question paraîtrait sinon curieuse, au moins  » byzantine  » ! N’est-ce pas un vraiment un détail ? Or il s’avère que, comme souvent, un  » point de détail  » cache des implications (…) essentielles.

Pour beaucoup, il semblerait (…) que les règles de l’iconographie l’interdisent. Or, où trouve t’on de telles règles ? En effet, la question se pose uniquement pour des saints contemporains dont nous avons des photos et des témoignages. Les saints plus anciens n’ont jamais été représentés avec des lunettes, sans doute n’en portaient-ils pas. Est-ce suffisant pour les interdire ? Bien évidement non.

Mais ce n’est pas non plus suffisant pour les admettre…. L’icône est trop importante pour se permettre de faire n’importe quoi, sans réfléchir. Et si l’on creuse un peu le problème, on se rend compte qu’il touche des points essentiels. Parce que l’icône est véritablement un témoin essentiel de la foi.

L’argument principal de ceux qui interdisent les lunettes, est que l’icône est image du Royaume, représentant des êtres transfigurés, qui ne sont donc plus sujets aux faiblesses ou souffrances d’ici-bas. » (…)

L’argument est tout à fait juste, on ne peut imaginer un saint souffrant encore d’une quelconque infirmité. On ne peut l’imaginer ayant encore besoin de lunettes !… Vu sous cet angle, qui pourrait contester une telle affirmation ?

Ceci étant dit, ne peut-on pas malgré tout envisager la chose un peu autrement ? (…) si l’on pousse l’argument au-delà (…) on pourrait se demander s’il est légitime (…) de représenter (…) des scènes de martyre de saints ou même la Passion de notre Seigneur ! Ou (…) pourquoi saint Séraphim de Sarov, lui qui s’est pourtant montré transfiguré à son disciple Motovilov, est si souvent figuré sur ses icônes voûté et s’appuyant sur un bâton ? Pourquoi également représente t-on une nouvelle sainte russe née aveugle, sainte Matrona, les yeux fermés sur son icône ? Ou encore plus généralement, pourquoi montrer des saints marqués par l’âge, ridés, avec cheveux blancs et le cas échéant, barbes blanches ? Ne pourrait-on pas les montrer tous jeunes, ou dans la force de l’âge ? La vieillesse et le cortège de ses infirmités auraient-ils donc encore droit de cité dans le Royaume des Cieux ? Bien évidement non ! Et pourtant tout cela est bien montré sur les icônes, sans que cela soulève la moindre indignation…

Alors pourquoi ? Y a-t-il vraiment une différence de nature avec la question qui nous préoccupe ? Je ne le crois pas. Le problème posé est le même : il y a bien des signes de faiblesse et de souffrance représentés sur les icônes. Et ce n’est pas illégitime.

C’est que la Transfiguration n’est pas une notion abstraite. La Transfiguration est celle d’une personne, unique, qui a vécu et a donc souffert (…) ! S’il n’y aura plus de souffrance dans le Royaume, cela ne gommera pas le fait qu’il y en a eu ! Les faiblesses et souffrances de chacun font partie de nos vies, on ne peut pas faire  » comme si  » ! Comme si tout d’un coup ce que l’on a vécu n’avait pas été vécu… Si en Dieu, il n’y aura plus de souffrance ni de mort,  » s’Il essuiera lui-même toutes larmes de nos yeux « , comme l’affirme l’Apocalypse, c’est que précisément il y en aura eu… 
(…)
Et en quoi sont donc transformées ces marques de souffrances, qui de fait n’en sont plus à proprement parler ? En signes de reconnaissance. Comment le Christ ressuscité se fait-il reconnaître ? En montrant ses plaies… Ses disciples ne finissent par le reconnaître qu’ainsi ! Et pas seulement St Thomas qui a eu le courage de l’exprimer et qui finit par confesser le Christ comme son Seigneur et son Dieu !
(…)
C’est pourquoi je me permets sur mes icônes représentant le Christ en gloire, de poser une tache sur Ses mains et Ses pieds, mais en or…. Ai-je tort ? Et pourquoi ne le ferait-on pas sur ses icônes le présentant en Enseignant ? N’est-ce pas le Christ vivant, aujourd’hui qui est figuré sur toute icône ?

Alors bien sûr, pourquoi ne pas faire aussi porter des lunettes à un saint pour mieux le reconnaître ? De même que tel saint sera représenté âgé, parce que c’est ainsi qu’il a laissé le souvenir de ce qu’il était.

Si l’icône est effectivement un témoignage du Royaume, de la Transfiguration, elle est aussi et pas moins témoignage de l’Incarnation ! C’est-à-dire au-delà et à travers celle du Christ, Dieu fait homme, elle présente des êtres réels, qui ont vécu dans ce monde et y ont aussi souffert. Elle le rappelle, de même qu’elle témoigne de leur gloire.
Le mode d’opération de l’icône est la ressemblance, inséparable du nom qui l’authentifie. Il est donc fondamental de l’on puisse reconnaître celui qui est représenté, et cela peut aussi passer par des signes de blessures… qui n’en sont plus. »

J’aime beaucoup l’idée de considérer ces détails comme des « signes de reconnaissance », permettant, en entrant dans une église emplie d’icônes ou de fresques, de reconnaître chaque personnage du monde invisible, nous réunissant alors à travers le temps et l’espace.


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Vert oxyde de chrome et vert émeraude

À gauche pigment vert oxyde de chrome, à droite, pigment vert émeraude

J’avais raconté dans un article précédent (ici) ma déception lorsque j’ai réalisé que la pierre d’émeraude ne donnait pas le joli pigment vert émeraude que l’on connaît. Pourtant on trouve bien dans le commerce des pigments qui portent ce nom. Qu’en est-il ?

Pour comprendre, il faut examiner l’ensemble des verts de la catégorie « Chrome ».

Le premier s’appelle vert oxyde de chrome. Il est classé PG 17 au Couleur index. De rares gisements produisant un oxyde de chrome naturel existent en Russie. Le plus connu se nomme justement vert de Russie mais son extraction est très marginale. Il est, le plus souvent, fabriqué par la réduction de bichromates alcalins selon différents modes de fabrication industrielle. Il a été mis au point vers 1838 par Pannetier et Binet avec un procédé qui s’est ensuite perfectionné. Ce vert peut porter d’autres noms correspondant à des compositions chimiques différentes : vert arnaudon (anticorrosion) vert de Schnitzer ou vert de Dingler…

Sa couleur, d’un vert olive plutôt terne, est résistante à la lumière comme à la chaleur, mais pas très avenante. D’une grande stabilité, elle a un temps été utilisée pour colorer les dollars américains !

Alors, qu’en est-il de la jolie couleur appelée couramment vert émeraude, ou vert viride, ou encore vert Guignet et qui porte la référence PG 18 au Colour Index ? Il s’agit d’un oxyde de chrome hydraté (l’oxyde de chrome est chauffé et mélangé avec de l’acide borique et de l’eau ). Le chimiste Guignet inventa la formule hydratée. En 1859, après quelques nouvelles améliorations, le procédé fut breveté puis vendu d’abord sous le nom de vert impérial avant de s‘appeler vert Guignet (et même parfois vert Pannetier). Il s’agit là de la couleur qu’on appelle communément vert émeraude.

Sa tonalité, d’un vert un peu bleuté et transparent, est beaucoup plus séduisante que celle du vert oxyde de chrome. Le pigment résiste bien à la lumière (mais pas à la chaleur), permet de beaux glacis et trouve sa place dans presque toutes les palettes : celle de l’aquarelliste comme celle de l’iconographe.

À noter qu’il existe encore un autre pigment dans cette catégorie appelé vert de chrome ou vert anglais (un mélange de jaune de chrome et de bleu de Prusse), nommé PG 15 au Colour Index, et utilisé principalement pour les peintures de camouflage : avouons qu’il y a de quoi s’y perdre !


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Le Colour Index

En cherchant à comprendre la différence entre deux pigments proches (l’oxyde de chrome et le vert de chrome : article à paraître), je me suis enfin plongée dans le fonctionnement du Colour index, sans lequel il est bien difficile de différencier certaines matières colorantes !

Le Colour Index est à l’origine un ouvrage réalisé par la « Society of Dyers and Colourists » dont la première édition est parue en 1924 et la dernière sur papier en 1971. Elle donne pour chaque matière colorante sa nature, sa formule, les noms commerciaux sous lequel on peut la trouver, son mode de fabrication, le nom de son inventeur, son historique et ses propriétés. Elle constitue une base de données internationale de référence des couleurs (qu’il s’agisse ou non de pigments) assortie d’une classification de tous les produits du marché. Des mises à jour sont publiées régulièrement mais l’index n’est plus édité sur papier (seulement sur Internet).

Le Colour Index utilise un système de classification multiple qui associe le nom générique de la couleur et sa composition chimique. On obtient ainsi le préfixe CI (ou C.I.) suivi d’un numéro. La logique est assez complexe et peut tenir compte de la présence d’additifs, de solvants, etc. 

Nous nous intéresserons seulement à la classification de pigments utilisés pour la peinture artistique. Chaque code commence alors par « P » qui signifie pigment lorsqu’il s’agit d’un pigment (parfois « N » pour les colorants d’origine naturelle).

Le Colour Index propose une double référence :

  • le nom générique du pigment ou colorant par exemple PB29 (Pigment Blue 29) pour le bleu outremer de synthèse
  • le numéro précis du pigment utilisé dans la couleur 

Ainsi, le bleu outremer clair de chez Kremer que j’utilise beaucoup est noté #45080 (code de la marque) puis PB 29 (ce type précis de bleu outremer) puis C.I. 77007 (le code universel).

Les familles de couleurs portent le préfixe anglais du nom de la couleur :

  • R = Red (rouges et certains roses et marrons)
  • O = Orange (oranges et certains bruns)
  • Y = Yellow (jaunes)
  • G = Green (verts et certains turquoises)
  • B = Blue (bleus)
  • V = Violet (violets et certains roses)
  • Br = Brown (bruns)
  • Bk = Black (noirs et gris)
  • W = White (blancs)

Cet outil est précieux car il permet de classer ses couleurs par grandes familles, de comparer deux couleurs de même appellation mais de composition différente selon la marque ainsi que de reconnaître une nuance véritable d’une imitation. J’avoue que je m’y perds souvent dans la classification des couleurs et que le fait de me plonger dans cette explication va m’aider à y voir plus clair !


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Sainte Marthe et la tarasque

Icône sur tilleul, 15 x 20 cm, 2024

J’ai réalisé cette icône à la demande d’une jeune amie que je connais depuis toujours, pour sa petite Marthe. Elle souhaitait avoir une représentation de la sainte avec la tarasque. Je ne connaissais pas cette histoire : j’ai donc effectué quelques recherches (1).

Cette histoire tient en partie de la légende. Un des fondements est La Légende dorée de Jacques de Voragine (2) . Il ne s’agit bien sûr pas du tout d’une source historique mais d’un récit légendaire, qui trouve peut-être une partie de ses fondements dans quelques faits véritables.

« Après l’ascension du Seigneur, Marthe, avec son frère Lazare, sa sœur Madeleine, et saint Maximin (…) furent jetés par les infidèles sur un bateau sans voiles, sans rames, et sans gouvernail. Et le Seigneur, comme l’on sait, les conduisit à Marseille ».

Là, ils commencent à prêcher, font de nombreuses conversions et guérisons tout en remontant le Rhône. Marthe arrive alors dans la petite ville qui deviendra Tarascon (où elle aurait fondé une communauté chrétienne vers l’an 50), précédée pas une réputation de sainteté.

« Or il y avait à ce moment sur les bords du Rhône, dans une forêt sise entre Avignon et Arles, un dragon, mi-animal, mi-poisson, plus gros qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, avec des dents aiguës comme des cornes, et de grandes ailes aux deux côtés du corps ; et ce monstre tuait tous les passagers et submergeait les bateaux. Il était venu par mer de la Galatie (3) ; il avait pour parents le Léviathan, monstre à forme de serpent, qui habite les eaux, et l’Onagre, animal terrible que produit la Galatie, et qui brûle comme avec du feu tout ce qu’il touche. Or sainte Marthe, sur la prière du peuple, alla vers le dragon. L’ayant trouvé dans sa forêt, occupé à dévorer un homme, elle lui jeta de l’eau bénite, et lui montra une croix. Aussitôt le monstre, vaincu, se rangea comme un mouton près de la sainte, qui lui passa sa ceinture autour du cou et le conduisit au village voisin (…) »

L’animal était connu sous le nom de tarasque et c’est ainsi que la cité, appelée à l’origine Nerluc, prit le nom de Tarascon. Marthe devint alors la protectrice de la ville. Depuis des siècles, des fêtes et processions rappellent son intervention miraculeuse. On célèbre toujours, le 29 juillet, à la sainte Marthe, la victoire de la jeune femme sur le dragon en promenant son image dans les rues.

Comment interpréter cette légende ? Il y a plusieurs façons.

On peut voir cette histoire comme un récit symbolique représentant l’affrontement entre le paganisme, figuré par le monstre, et le christianisme, à l’image de saint Georges terrassant le dragon.

Une autre explication est possible. En effet, des fouilles archéologiques effectuées dans le Rhône ont permis la découverte d’épaves de navires romains qui acheminaient de Marseille à Lyon, et tout au long de la vallée du Rhône, des marchandises en provenance d’Orient et en particulier des animaux destinés aux jeux du cirque. Il arrivait que ces navires coulent avec leur cargaison. Il est donc possible d’imaginer que l’un de ces navires ait transporté dans ses soutes un ou des grands crocodiles blancs venus du Nil et destinés à être massacrés dans un amphithéâtre lors de jeux du cirque.

Aujourd’hui presque disparus, ces animaux dangereux, agressifs et à l’appétit féroce, étaient alors répandus le long du Nil dont ils terrifiaient les riverains. Dès lors, on peut imaginer que lors d’un naufrage sur le fleuve impétueux, l’un de ces crocodiles soit parvenu à s’échapper. Si Marthe était bien arrivée à Tarascon, venant d’Orient, elle aurait pu avoir entendu parler de ces animaux. Elle savait peut-être que lorsque les crocodiles sont repus, ils sont, pour un moment inoffensifs. Or, le récit précise que Marthe trouve la tarasque en train de terminer de dévorer sa dernière victime, peut-être en pleine digestion. Alors, avec détermination, courage et foi, munie de la croix et de l’eau bénite, Marthe descend vers le Rhône et triomphe de l’animal avant qu’il ne soit « tué à coup de pierres et de lances » par les habitants de la ville.

Jacques de Voragine poursuit ainsi : « Marthe, après avoir vaincu le dragon, obtint de sa sœur et du prêtre Maximin la permission de rester dans ce lieu, où elle ne cessa pas de prier et de jeûner, jusqu’à ce qu’enfin une grande congrégation de religieuses s’y réunit auprès d’elle, en même temps qu’une grande basilique fut construite en l’honneur de la vierge Marie. Et Marthe vivait là de la vie la plus dure, ne mangeant qu’une fois par jour, se privant de chair, de graisse, d’œufs, de fromage et de vin. ».

Le récit continue avec la description d’autres miracles et conversions réalisés par sainte Marthe.

D’autres régions françaises, tout comme Tarascon, ont leurs histoires de dragons qu’on appelle vouivres, dracs, ou qui portent encore d’autres noms. Ces créatures sévissent justement à proximité d’anciennes villes romaines qui possédaient un amphithéâtre et y organisaient des jeux. Cette hypothèse est donc tout à fait imaginable et n’écarte pas la lecture plus symbolique des forces négatives vaincues par un saint ou une sainte…

(1) Je me suis notamment appuyée sur deux articles de la revue Aleteia voir ici et
(2) Toutes les citations (en italique) proviennent du texte de La Légende dorée, page 375 et suivantes.
(3) En Anatolie


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La Mère de Dieu de la Consolation

Icône sur planche de tilleul creusée, 20 x 30,5 cm, 2024

J’avais dans un premier temps intitulé cette icône « La Mère de Dieu de Vatopedi », mais suite aux remarques constructives de quelques amies iconographes (1), j’ai préféré changer le titre et l’appeler Mère de Dieu de la Consolation. Comme elle est située au monastère de Vatopedi, son autre appellation n’est pas fausse. Elle doit être là-bas la plus vénérée et la plus connue, mais n’est pas la seule icône de la Vierge de ce monastère. Il semble donc plus juste de l’appeler Mère de Dieu de la Consolation, car ce nom décrit le type, le genre spécifique de cette icône plutôt que le lieu de sa provenance.

Sur cette icône, la Théotokos porte son enfant sur le bras gauche, comme l’Hodiguitria, bien que l’intimité confiante exprimée par cette icône évoque aussi le thème de la Vierge de Tendresse.

La tête de la Mère de Dieu est légèrement inclinée du côté opposé et en même temps, elle regarde vers nous.

Sa main droite tient celle de l’Enfant qui, par conséquent, de façon inhabituelle, ne bénit pas. Ce geste a été interprété de différentes façons.

Il peut s’agir d’un geste de tendresse, comme si elle embrassait la petite main, ou encore d’une sorte de demande d’intercession. D’autres lectures interprètent les choses d’une toute autre façon : la Vierge chercherait à s’éloigner au contraire de la main de l’Enfant, lors d’un épisode raconté ci-dessous.

Vatopedi est un des plus grands monastères du mont Athos, situé sur la côte est de la péninsule. Les circonstances de sa fondation sont controversées mais la tradition rapporte que l’empereur Théodose Ier (« Le Grand ») fit de généreux dons au monastère dont il posa la première pierre, pour remercier la Théotokos d’avoir sauvé son jeune fils Arcadius. L’enfant serait tombé d’un navire lors d’un naufrage au large du mont Athos et aurait été retrouvé sain et sauf, de façon miraculeuse, au pied d’un framboisier, d’où son nom Vatopedi, « l’Enfant au framboisier » ou « Buisson de l’Enfant ».

Des siècles durant, ce monastère jouit des faveurs des empereurs byzantins. 

En 807 l’icône aurait sauvé le monastère du pillage par des brigands. En priant devant elle, l’higoumène entendit la Vierge lui ordonner de ne pas ouvrir les portes du monastère sur lesquelles on tambourinait. L’Enfant mit sa main devant la bouche de la Vierge pour la faire taire, mais elle l’enleva et répéta l’avertissement. Cette interprétation peut expliquer la posture particulière de cette icône.

Une autre tradition affirme que l’icône de Vatopedi est un don de l’empereur Jean Kantakuzène (1347-1354). En fait, il y a deux icônes à Vatopedi, l’une au sanctuaire derrière l’iconostase et appelée Vimatissa, l’autre dans la nef de l’église. Toutes deux sont du XIVe siècle et possèdent les caractéristiques du style byzantin.

L’icône s’appelle aussi « Consolation », en Russie et au mont Athos. On ne sait pas vraiment quand elle est apparue la première fois en Russie mais on en dénombre plusieurs copies ; certaines sont miraculeuses.

Avec toutes les interprétations et incertitudes qui entourent la façon d’interpréter cette icône et de décrypter son histoire, il me semble que mieux vaut se laisser emporter par elle et entrer dans une méditation dans laquelle l’icône parlera au cœur de chacun. 

L’icône est appelée aussi Vimatarissa ou Vimatissa. Les thèmes qui lui sont associés sont la consolation, la compassion et la gratitude.

En ce qui concerne les couleurs utilisées, le fond du manteau de la Vierge est constitué d’un mélange de rouge de Venise et de bleu outremer. Les éclaircissement font appel à un bleu cobalt caeruleum (celui-ci, de chez Kremer), mais il y a entre les couches, évidemment, quelques glacis au lapis-lazuli !

Fête le 21 janvier (3 février)

(1) Merci à Agnès Glichitch et Virginie Desjardins pour leur perspicacité !


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Sainte Apolline d’Alexandrie

Icône sur tilleul, 10 x 12 cm, 2023

Sa vie est racontée dans La Légende Dorée mais dans un chapitre controversé, qui n’a peut-être pas été rédigé par Jacques de Voragine ; je m’y réfère cependant.

Apolline est une martyre chrétienne morte à Alexandrie au milieu du IIIe siècle.

Le récit de son martyre est tiré d’une lettre de Denys, évêque d’Alexandrie, adressée à Fabien, alors évêque d’Antioche.

L’histoire d’Apolline se déroule pendant les persécutions de l’empereur Dèce. Apolline, alors diaconesse à Alexandrie, « déjà fort avancée en âge, et toute éclatante… », appartient à un groupe de vierges consacrées qui refusent d’abjurer leur foi. Elle est donc persécutée, ses dent arrachées puis menacée d’être jetée au feu. Elle s’excuse de ne pouvoir satisfaire ses bourreaux et profite de leur distraction : après s’être recueillie un instant, elle court se jeter elle-même dans les flammes. « Elle ne se laissa vaincre ni par ses souffrances, ni par l’ardeur des flammes, qui n’étaient rien en comparaison de l’ardeur allumée en elle par les rayons de la vérité ».

On la représente avec une paire de tenailles enserrant parfois ses dents et avec la palme du martyre. Elle est figurée la plupart du temps comme une jeune martyre, peut-être « amalgamée » avec une autre Apolline, morte à Rome pendant les persécutions de Julien l’Apostat.

Ainsi, sainte Apolline, à cause de son supplice, est considérée comme la patronne des dentistes et invoquée contre les maux de dents. On raconte qu’avant de mourir, elle aurait promis son aide à ceux qui souffraient de maux de dents.

Son nom, d’origine latine, serait lié au culte d’Apollon ou bien dériverait d’un nom étrusque de consonance noble.

Elle est fêtée le 9 février


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À contre courant de ce qui nous désespère…

Il y a tout juste un an, je proposais à l’église Notre-Dame des Neiges de Susville une exposition intitulée « couvrir d’or et de lumière ». À cette occasion, un petit livret a été édité (il est présenté ici) dans lequel je laissais défiler quelques réflexions sur mon travail et ma pratique. Le relisant aujourd’hui, je vous partage cet extrait, tellement d’actualité.

« (…) La lumière s’incline, le soleil disparaît derrière la montagne, les couleurs changent et un vent très léger fait frissonner les feuilles. Un oiseau se pose sur le toit de la maison voisine puis entonne son chant. Tout est si éphémère et si précieux. Tout passe, si vite. La fragilité m’émeut, celle de l’enfance comme le défilé des jours et des saisons. Et s’installe l’urgence de savourer chaque moment, de ne rien en perdre, de fixer la beauté, de cultiver la joie…

Très jeune, cette certitude de chaque instant m’a poussée à peindre, à photographier, à voyager, à couvrir de notes des carnets et des albums qui s’empilent sur les étagères de la maison, comme autant de traces, comme une façon de donner davantage de poids et de durée à l’existence. Je me suis retrouvée un jour à peindre des icônes par un enchaînement de « splendides hasards » et j’ai découvert la chance de trouver là, la musique qui accompagnerait désormais ma vie : un rythme lent de coups de pinceaux qui confirme chacune de mes intuitions et transforme l’inquiétude.

(…). L’aventure est exigeante, tout comme un long chemin qui, un pas après l’autre, donne l’impression d’entrer dans un autre temps, de se recentrer, de se retirer pour laisser la place à l’équilibre et à la confiance. Alors, même si c’est éphémère, s’installe le sentiment de plénitude qu’offre un lac de montagne dans la paix des soirs quand s’attarde la libellule.

Car peindre une icône n’est pas seulement peindre, mais célébrer à tâtons, du bout de son pinceau, la plus belle part de l’humanité, donner du poids et de l’importance à chaque geste, à chaque respiration, se relier au souffle, à la verticalité, s’émerveiller de chaque couleur, de la beauté des modèles, de l’inspiration de nos prédécesseurs, découvrir peu à peu le langage symbolique et spirituel profond de chaque scène et s’inscrire dans une histoire.

À la douceur des soirs succède la nuit, parfois inquiétante ; l’insomniaque que je suis l’expérimente trop souvent. Oui, l’ombre est là, toujours planante et menaçante, enténébrante. Peindre une icône fait vivre cette expérience qui consiste à faire émerger la vie depuis l’obscurité, « couvrir d’or et de lumière » ce qui, au départ, n’est que terre informe et brouillard. Obstinément, chercher derrière les ombres, le scintillement, et se redire, au fil des coups de pinceaux, que tout est possible, que le sens de la vie… c’est la vie, toujours miraculeuse, tellement précieuse ! 

Finalement, dans ce monde tellement fou, chercher inlassablement les plus infimes parcelles de beauté et de paix, c’est aller à contre courant de tout ce qui nous désespère (…) ».


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Saint Siméon de Vaucé

Icône sur tilleul, 12 x 15 cm, 2023

Quand une amie m’a demandé une icône de saint Siméon de Vaucé pour son petit fils appelé Siméon, j’ai commencé à chercher des indications sur ce personnage. J’avais à ma disposition seulement la reproduction d’une ancienne carte postale avec une photo du reliquaire de saint Siméon.

Ma récolte, après ma recherche, a été étonnamment maigre bien qu’une commune de l’Orne porte son nom et qu’une église lui soit dédiée.

J’ai simplement trouvé qu’il avait été prêtre et ermite à Vaucé (aux confins de l’Orne et de la Mayenne). Il est mort vers 850 et on ne sait presque rien de lui, si ce n’est la très hagiographique notice de l’abbé Blin, dans sa «Vie des Saints de diocèse de Séez », reprise à l’identique dans le tome 14 des « Petits Bollandistes » : « Après avoir combattu le bon combat, notre cher saint, comblé d’années et de mérites, alla recevoir la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l’aiment.. » On comprend donc qu’il vécut longtemps et réalisa de belles œuvres… mais je n’ai trouvé aucune autre précision (si quelqu’un a une information sur ce saint évidemment, je suis très intéressée). 

On invoque particulièrement saint Siméon pour obtenir la bénédiction sur les bêtes à cornes.

Dans un premier temps, j’ai pensé qu’il était impossible de travailler sur un personnage pour lequel on disposait de si peu d’indications. Puis ensuite, je me suis dit que c’était un des privilèges de l’icône : donner vie dans l’éternité à des personnes qui ont modestement semé de leur vivant. Je l’ai donc revêtu de sobres vêtements d’ermite auxquels j’ai ajouté une étole de prêtre très simple, et l’ai représenté âgé et dégarni, comme il l’est sur le reliquaire.

J’imagine ce saint Siméon tellement surpris qu’on puisse évoquer son nom des centaines d’années après qu’il se soit « endormi dans le Seigneur ». Mais je trouve ça beau aussi, au gré de mes coups de pinceaux, de penser à quel point chaque être humain est relié aux autres, à travers le temps comme à travers l’espace, et que chaque vie, de toutes les façons possibles, laisse une trace dans l’éternité.

Il est fêté le 7 décembre.

Article du 22 septembre 2023 complété le lendemain