J’ai eu envie d’écrire cet article à propos des Portraits du Fayoum pour mettre en évidence les nombreux points communs avec la peinture de l’icône : notre pratique n’est pas venue de « nulle part », mais inscrite dans une longue histoire.
Pour la plupart, ces peintures ont fleuri entre le Ier et le IVe siècle dans le Fayoum, puis par extension dans toute l’Égypte.
Il s’agit de portraits funéraires peints en position frontale, les yeux largement ouverts et placés au niveau du visage de la momie. La plupart sont remis au jour à partir du XIXe siècle. Ils représentent l’ultime évolution des traditions funéraires de l’Égypte antique, influencées par l’art grec et romain. Ils semblent annoncer l’icône et nous allons découvrir de nombreuses analogies entre la peinture de l’icône et ces visages d’éternité.
Les « Portraits du Fayoum » font partie des rares peintures sur bois qui émergent de l’Antiquité, bien que la tradition du portrait ne soit pas complètement nouvelle (1).
Ils sont peints sur des panneaux de bois ou sur du lin rigidifié par une fine couche de plâtre ou de colle, à l’encaustique ou à la détrempe. Les bois sont destinés à être adaptés à la forme de la momie et choisis en fonction de leur souplesse et de leur solidité pour être capables de traverser le temps. Les dimensions, légèrement plus petites que nature, sont adaptées à la taille de la momie.
L’utilisation du bois apparaît très tôt dans l’art égyptien. L’espèce la plus employée est le figuier sycomore, un bois souple et tendre, qui pousse facilement dans la région du Fayoum. Vient ensuite le tilleul (le bois favori des peintres d’icônes) qui ne pousse pas en Égypte mais fait l’objet d’un commerce florissant avec les Romains. Le chêne est aussi une espèce utilisée pour sa grande résistance. D’autres espèces sont aussi parfois employées : le sapin, le cèdre, le cyprès, le pin, l’acacia ou le hêtre.
Le traitement du bois détermine la durée de vie du panneau. La coupe est en principe réalisée dans le sens du fil du bois, ce qui lui donne une meilleure résistance (dans l’icône, on dira : « dans le sens de la prière qui s’élève »). Les dimensions et les formes des panneaux sont le plus souvent rectangulaires avec une épaisseur la plupart du temps un peu inférieure à 2 cm.
Une fois découpé, le bois est préparé afin d’offrir à la peinture une bonne adhérence. Les mélanges, adaptés au support et à la technique choisis, nous rappellent le levkas (2) de nos icônes : colle de peau, sulfate de calcium, blanc de plomb, gypse… Mais souvent, le bois est utilisé sans aucune préparation.
L’esquisse du dessin est réalisée en rouge, comme dans nos icônes (voir l’article sur la sinopia) ou en noir. Ensuite commence la peinture selon deux techniques :
– la technique à l’encaustique, à base de cire d’abeille chaude ou froide est la plus répandue. Elle témoigne d’une longue tradition héritée des Grecs qui l’utilisaient déjà au Ve siècle avant notre ère et permet de riches nuances. La cire chaude, reste parfois, quand il fait très chaud, dans un état semi-solide, mais la plupart du temps est réchauffée dans de petits récipients auxquels on ajoute des pigments. Elle peut être utilisée pure ou mélangée à d’autres substances (résines, gommes, ou des huiles…) afin d’élever sa température de fusion pour la rendre plus résistante. La cire froide, ou cire d’abeille punique, est un mélange de cire d’abeille, d’eau de mer et de soude. Le résultat est un matériau bien adapté à la peinture mais qui nécessite plus de temps..
– la peinture à la détrempe, plus graphique et moins répandue, réalisée en liant le pigment avec de l’œuf, de la colle de peau, de la gomme arabique ou de la résine. Là encore, on se rapproche de l’icône…
En ce qui concerne les couleurs, les peintres ont recours à une palette réduite composée des couleurs de base de l’Antiquité : ocre jaune et rouge, blanc et noir. On parle alors de « tétrachromie » et c’est également la palette des premières icônes. Le noir sert à affirmer les traits. D’autres couleurs plus rares complètent la palette : la garance (rouge ou rose), le bleu égyptien (premier bleu synthétique) ainsi que le vert, utilisé pour les ombres et les feuillages. Les fonds sont sobres, gris ou vert, plutôt uniformes, parfois dorés.
Pour les bijoux, les peintres ont recours à l’or ainsi qu’à des pigments issus de pierres précieuses ou semi-précieuses. La dorure s’appuie sur plusieurs procédés : une peinture imitant l’or, à base d’ocre jaune mélangé à un peu de blanc et de rouge, ou bien l’application de feuille d’or à l’aide de blanc d’œuf ; cette deuxième possibilité est bien sûr plus coûteuse et réservée aux commanditaires les plus riches. L’or n’a pas seulement une fonction décorative, mais aussi une fonction symbolique en lien avec la dimension divine. Les couleurs ne sont pas appliquées partout de la même manière. La règle générale est de travailler en allant du plus foncé au plus clair (comme dans l’icône).
Le pinceau est l’outil le plus utilisé mais d’autres ustensiles le complètent surtout pour la peinture à l’encaustique (le cestrum et le cauterium).
Bien sûr, en fonction des budgets, la qualité de la réalisation diffère. Il existe des portraits « type » tout faits, peints en série puis complétés ensuite sur demande de l’acheteur. Parfois la ressemblance est recherchée et certains portraits sont réalisés du vivant du modèle, suspendus au mur dans un cadre. À sa mort, le portrait est découpé puis posé sur le corps embaumé et quelques détails caractérisant la vie du défunt sont ajoutés, m’évoquant les « attributs » des saints dans les icônes. Dans le même esprit, certains personnages sont revêtus de tenues militaires qui leur confèrent une allure royale ou héroïque.
Les modèles sont en général peints à l’âge adulte, même si la momie associée est plus âgée : il s’agit de visages d’éternité destinés à traverser le temps, et pas de représentations anecdotiques. On retrouve encore là une analogie avec l’icône.
L’identification précise est validée par l’inscription du nom du défunt sur la momie (on pense à l’importance du « nom » dans l’icône).
Les « Portraits du Fayoum » sont un exemple du syncrétisme culturel de l’Égypte à l’époque romaine, alliant apports hellénistiques et romains et héritage pharaonique. Ils constituent une sorte de passerelle entres les cultes antiques et l’icône.
(1) lire André Grabar, Les voies de la création en iconographie chrétienne et particulièrement le chapitre III sur le portrait et l’imago clipeata.
(2) On peut lire cet article sur le levkas au Moyen Âge. On trouve en lien toute une série d’articles qui illustrent les méthodes que nous utilisons aujourd’hui : la série « le levkas chez Solange » (premier article ici, la suite apparaît facilement) et « préparer le levkas » (premier article ici).