Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Sainte Julie de Corse

Sainte Julie, icône sur tilleul, 13 x 17 cm, 2023

Sainte Julie (Ghjulia en Corse) est une des patronnes de la Corse et aussi de Bergame, Livourne, Brescia…. 

La vie de sainte Julie fait partie de ces récits dans lesquels histoire, tradition et légende se confondent. On trouve des versions différentes de sa vie et de son martyre.

La première version se situe au IVe ou Ve siècle et Julie est originaire d’une famille noble de Carthage. Après la prise de la ville par les vandales, elle est vendue comme esclave à Eusèbe, un commerçant syrien. La jeune femme se dévoue avec zèle à son maître. Il l’embarque avec lui vers la Gaule. Lors d’une escale près de Nonza en Corse, il participe à une fête païenne au cours de laquelle on sacrifie un taureau. Julie refuse d’y participer et reste sur le bateau avec l’accord d’Eusèbe. Lorsque le gouverneur l’apprend, il est furieux : il enivre Eusèbe qui refuse de livrer Julie. Le gouverneur la fait enlever, exigeant qu’elle sacrifie aux dieux. Julie, refusant, est condamnée à mort. Elle est alors martyrisée et la légende raconte qu’une colombe, symbole d’innocence et de sainteté, s’échappe de sa bouche.

Des religieux de l’île de Gorgone (au large de Livourne) viennent chercher son corps et l’ensevelissent dans leur monastère. Plus tard ses reliques sont transportées à Brescia et son culte se répand alors dans le nord de l’Italie.

Dans l’autre version plus répandue en Corse et située un peu plus tôt dans le temps (tout début du IVe siècle), Julie nait à Nonza pendant le règne de Dioclétien. Dans ce récit aussi, elle refuse de sacrifier aux dieux et les romains la torturent. Ses seins sont jetés sur des rochers en contre-bas du village. Une (ou deux ?) fontaine jaillit alors. Comme dans la première version, une colombe s’échappe de sa bouche.

Une toile du sixième siècle dans l’église de Nonza représente Julie crucifiée, les seins coupés. C’est là que son culte est le plus ancien et fervent. La « Fontaine des mamelles » coule toujours et attire une foule de pèlerins venus de la Corse entière. Ses eaux miraculeuses sont réputées pour opérer des guérisons et protéger les mères contre le tarissement de leur lait. Certaines se rendaient en pèlerinage à Nonza pieds-nus pour s’attirer les faveurs de la sainte. Aujourd’hui encore, chaque année, Julie est fêtée à Nonza et dans toute la Corse par de belles cérémonies.

Elle est fêtée le 22 mai (calendrier catholique) ou le 16 juillet (calendrier orthodoxe)


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L’icône du Pokrov ou la Protection de la Mère de Dieu

L’icône complète par la main d’Anton Daineko

Je ne sais pas toujours ce qui me guide, hormis les commandes, quand j’éprouve l’impérieux besoin de peindre telle ou telle icône. Je ne sais pas non plus comment cela opère ; je sais seulement que, un coup de pinceau après l’autre, cela me calme et me recentre. Cette fois-là, j’ai arrêté mes commandes en cours car le modèle de l’icône du Pokrov (la Protection de la Mère de Dieu) s’est imposé de façon urgente et absolue. 

Le modèle de cette icône est lié à un évènement extraordinaire qui remonterait au 1er octobre 910. L’empire byzantin était alors menacé. Cette nuit-là, un office de louanges était célébré dans l’église des Blachernes à Constantinople. L’office de minuit s’achevait, quand la Mère de Dieu apparut à saint André, un « fol en Christ », et à son disciple Épiphane. Très grande, elle s’avançait dans l’église, environnée d’un cortège de saints dont saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Évangéliste. Elle pria longuement, tout en versant des larmes, puis s’avança vers l’autel et là, déploya son voile étincelant (le maphorion), en le maintenant étendu pour en couvrir tout le peuple. Durant un temps assez long, saint André et Épiphane virent le voile briller au-dessus de la foule.

Saint André demanda à son disciple :

«- Vois-tu, frère, notre Reine et Souveraine qui prie pour le monde entier?
– Oui, père saint, je la vois, et je suis saisi de crainte
. »

En souvenir de cet événement, la fête du Pokrov (voile, protection) fut instituée en Russie au XIIe siècle. 

L’icône représente la Mère de Dieu debout en orante les bras levés, dans un décor d’église byzantine, et accompagnée par les saints. Parfois, la Vierge elle-même déploie largement son voile. Dans d’autres icônes, deux anges étendent le voile sur le peuple.

L’équivalent de cette fête existe en Bulgarie et en Roumanie. L’Église de Grèce la célèbre sous le nom de Hagia Sképè (Saint Voile, Sainte Protection) le 28 octobre, jour de la fête nationale grecque, en reconnaissance pour le secours accordé par la Vierge pendant la Seconde Guerre mondiale.

Par la main de Dmitri Stelletski, 1944

D’une façon générale, cette icône représente la protection de la Mère de Dieu sur tous ceux qui se réfugient sous son voile.

Les hymnes de la Protection de la Mère de Dieu : 

Tropaire, ton 4 : En ce jour nous célébrons ta lumineuse fête, ô Mère de Dieu, nous les fidèles protégés par ta venue et, contemplant ta vénérable icône, avec tendresse nous disons : couvre-nous de ta sainte protection et délivre-nous de tout mal, priant ton Fils, le Christ notre Dieu, d’accorder à nos âmes le salut. 

Kondakion, ton 3 : La Vierge en ce jour se tient dans l’église invisiblement avec les chœurs des Saints priant pour nous notre Dieu ; les Anges et les Pontifes se prosternent, les Apôtres et les Prophètes exultent de joie, car la divine Mère pour nous intercède auprès du Dieu d’avant les siècles. 

On chante aussi aux vêpres : « En toi, Mère divine, se reconnaît le paradis planté par Dieu et qui possède à son centre l’arbre de la vie, irrigué par l’Esprit Saint, tu enfantes le Créateur qui nourrit avec le pain de vie tous les croyants. Prie-le pour nous et avec le voile vénérable couvre le peuple fidèle pour le protéger de tout mal. » 

Fête le 1er octobre 

Ma petite icône sur bouleau, 11,5 x 18,5 cm


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Terre de Cassel, de Cologne, Brun Van Dyck et brou de noix

Terre de Cassel

J’ai continué hier à trier mes pigments et découvert dans un recoin de l’atelier des pots nommés Terre de Cassel et Brun Van Dick. À vrai dire, j’avais testé la Terre de Cassel, il y a quelques années, séduite par la profondeur de la tonalité mais n’avais pas été convaincue par le résultat de l’association avec le jaune d’œuf. J’ai voulu en savoir plus et je me suis plongée dans un imbroglio de dénominations entre Terre de Cassel, Terre de Cologne, Brun Van Dyck et même brou de noix.

L’appellation « Terre » donnée à la Terre de Cassel n’est pas très juste car le pigment contient une faible quantité de matières minérales : elle devrait plutôt être classée parmi les pigments organiques qui la composent généralement à plus de 90 %. Il est vraisemblable que le nom de « terre » ait été donné en raison de son extraction en carrière ou dans des dépôts de tourbe ou de lignite. Son emploi est ancien (XVe siècle ?). La dénomination Terre de Cassel n’implique pas forcément que le pigment provienne de la région de Cassel.

Brun Cassel n°1

Ce pigment d’origine naturelle résulte de l’action des produits de décomposition de végétaux sur les sels de fer contenus dans le sol. C’est en grande partie un acide dit « humique » ; cela explique pourquoi on le définit parfois comme « humate de fer ».

On confond souvent la Terre de Cassel avec la Terre de Cologne, qui figure dans les manuscrits dès le début du XVIIe siècle.

Les deux produits sont très voisins et la tonalité permet à peine de les différencier (la Terre de Cassel est cependant globalement plus sombre). Leur principale qualité est leur belle transparence alors que leur résistance à la lumière laisse à désirer.

Cassel-Van Dyck n°41000 Kremer

Pour produire une encre utilisée en dessin ou en calligraphie, il suffit de mélanger un peu de terre de Cassel avec de l’eau tiède ou chaude en plus ou moins grande quantité, selon la transparence désirée. Mais attention, la Terre de Cassel a tendance à se diffuser sur les couleurs voisines en raison de sa teneur en bitumes. C’est pourquoi des substituts fabriqués avec des ocres calcinés voient le jour au XIXe siècle, plus stables, mais aussi moins transparents.

La Terre de Cassel a alors des caractéristiques proches de l’encre de Chine mais dans un brun chaud. Dans les dessins de la Renaissance, on trouve souvent des mélanges d’encre de Chine, d’encre brune avec parfois des rehauts de blanc sur des papiers bruns : l’effet est superbe.

La Terre de Cassel peut aussi être mélangée à de l’huile de lin, de l’œuf, de la bière ou différents autres liants. Elle est partiellement soluble dans l’huile et sa principale qualité reste la transparence. Mais elle est fragile et exige un vernissage rapide.

Terre de Cassel/brou de noix n°41050 Kremer

Dès le XVIIIe siècle, ces couleurs ont servi aussi à teindre le bois d’où la confusion qui s’opère avec le brou de noix, que la Terre de Cassel peut remplacer à moindre coût.

Peu de temps après, sans que l’on sache très bien pourquoi, certains se sont mis à appeler Brun Van Dyck ces deux produits et certains producteurs de pigments ont commercialisé un mélange à base d’oxydes de fer calcinés sous le nom de Brun Van Dick. On se retrouve donc là dans une grande confusion de dénominations ! Ces nouveaux produits ont l’avantage d’être moins sensibles à la lumière mais ne présentent pas la belle transparence qui fait le charme des Terres de Cassel et de Cologne.

Le brou de noix, quant à lui, est surtout utilisé, on l’a dit, comme colorant naturel pour teindre le bois. Il sert aussi à fabriquer une encre brune, de teinte chaude qui s’emploie en lavis ou en calligraphie. On peut lui rajouter un vernis ou de la gomme arabique afin de lui conférer plus de viscosité. Il peut se mordancer à l’alun et servir ainsi à la teinture des laines et des soies, principalement à rabattre les teintes vives.

Des artistes comme Le Lorrain ou Rembrandt l’ont employé pour réaliser des lavis. Pierre Soulages l’a l’utilisé à côté de ses noirs.

Autant le dire, à moins d’être expert en chimie et d’éplucher les notices, c’est presque impossible de s’y retrouver : on peut juste conclure en se régalant de ces couleurs de belles tonalités transparentes et non toxiques, mais qui perdent de leur éclat avec le temps et la lumière.


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« Portraits du Fayoum » et icônes

J’ai eu envie d’écrire cet article à propos des Portraits du Fayoum pour mettre en évidence les nombreux points communs avec la peinture de l’icône : notre pratique n’est pas venue de « nulle part », mais inscrite dans une longue histoire.

Pour la plupart, ces peintures ont fleuri entre le Ier et le IVe siècle dans le Fayoum, puis par extension dans toute l’Égypte.

Il s’agit de portraits funéraires peints en position frontale, les yeux largement ouverts et placés au niveau du visage de la momie. La plupart sont remis au jour à partir du XIXe siècle. Ils représentent l’ultime évolution des traditions funéraires de l’Égypte antique, influencées par l’art grec et romain. Ils semblent annoncer l’icône et nous allons découvrir de nombreuses analogies entre la peinture de l’icône et ces visages d’éternité.

Les « Portraits du Fayoum » font partie des rares peintures sur bois qui émergent de l’Antiquité, bien que la tradition du portrait ne soit pas complètement nouvelle (1). 

Ils sont peints sur des panneaux de bois ou sur du lin rigidifié par une fine couche de plâtre ou de colle, à l’encaustique ou à la détrempe. Les bois sont destinés à être adaptés à la forme de la momie et choisis en fonction de leur souplesse et de leur solidité pour être capables de traverser le temps. Les dimensions, légèrement plus petites que nature, sont adaptées à la taille de la momie. 

L’utilisation du bois apparaît très tôt dans l’art égyptien. L’espèce la plus employée est le figuier sycomore, un bois souple et tendre, qui pousse facilement dans la région du Fayoum. Vient ensuite le tilleul (le bois favori des peintres d’icônes) qui ne pousse pas en Égypte mais fait l’objet d’un commerce florissant avec les Romains. Le chêne est aussi une espèce utilisée pour sa grande résistance. D’autres espèces sont aussi parfois employées : le sapin, le cèdre, le cyprès, le pin, l’acacia ou le hêtre.

Le traitement du bois détermine la durée de vie du panneau. La coupe est en principe réalisée dans le sens du fil du bois, ce qui lui donne une meilleure résistance (dans l’icône, on dira : « dans le sens de la prière qui s’élève »). Les dimensions et les formes des panneaux sont le plus souvent rectangulaires avec une épaisseur la plupart du temps un peu inférieure à 2 cm.

Une fois découpé, le bois est préparé afin d’offrir à la peinture une bonne adhérence. Les mélanges, adaptés au support et à la technique choisis, nous rappellent le levkas (2) de nos icônes : colle de peau, sulfate de calcium, blanc de plomb, gypse… Mais souvent, le bois est utilisé sans aucune préparation.

L’esquisse du dessin est réalisée en rouge, comme dans nos icônes (voir l’article sur la sinopia) ou en noir. Ensuite commence la peinture selon deux techniques :
– la technique à l’encaustique, à base de cire d’abeille chaude ou froide est la plus répandue. Elle témoigne d’une longue tradition héritée des Grecs qui l’utilisaient déjà au Ve siècle avant notre ère et permet de riches nuances. La cire chaude, reste parfois, quand il fait très chaud, dans un état semi-solide, mais la plupart du temps est réchauffée dans de petits récipients auxquels on ajoute des pigments. Elle peut être utilisée pure ou mélangée à d’autres substances (résines, gommes, ou des huiles…) afin d’élever sa température de fusion pour la rendre plus résistante. La cire froide, ou cire d’abeille punique, est un mélange de cire d’abeille, d’eau de mer et de soude. Le résultat est un matériau bien adapté à la peinture mais qui nécessite plus de temps..

– la peinture à la détrempe, plus graphique et moins répandue, réalisée en liant le pigment avec de l’œuf, de la colle de peau, de la gomme arabique ou de la résine. Là encore, on se rapproche de l’icône…

En ce qui concerne les couleurs, les peintres ont recours à une palette réduite composée des couleurs de base de l’Antiquité : ocre jaune et rouge, blanc et noir. On parle alors de « tétrachromie » et c’est également la palette des premières icônes. Le noir sert à affirmer les traits. D’autres couleurs plus rares complètent la palette : la garance (rouge ou rose), le bleu égyptien (premier bleu synthétique) ainsi que le vert, utilisé pour les ombres et les feuillages. Les fonds sont sobres, gris ou vert, plutôt uniformes, parfois dorés.

Pour les bijoux, les peintres ont recours à l’or ainsi qu’à des pigments issus de pierres précieuses ou semi-précieuses. La dorure s’appuie sur plusieurs procédés : une peinture imitant l’or, à base d’ocre jaune mélangé à un peu de blanc et de rouge, ou bien l’application de feuille d’or à l’aide de blanc d’œuf ; cette deuxième possibilité est bien sûr plus coûteuse et réservée aux commanditaires les plus riches. L’or n’a pas seulement une fonction décorative, mais aussi une fonction symbolique en lien avec la dimension divine. Les couleurs ne sont pas appliquées partout de la même manière. La règle générale est de travailler en allant du plus foncé au plus clair (comme dans l’icône).

Le pinceau est l’outil le plus utilisé mais d’autres ustensiles le complètent surtout pour la peinture à l’encaustique (le cestrum et le cauterium). 

Bien sûr, en fonction des budgets, la qualité de la réalisation diffère. Il existe des portraits « type » tout faits, peints en série puis complétés ensuite sur demande de l’acheteur. Parfois la ressemblance est recherchée et certains portraits sont réalisés du vivant du modèle, suspendus au mur dans un cadre. À sa mort, le portrait est découpé puis posé sur le corps embaumé et quelques détails caractérisant la vie du défunt sont ajoutés, m’évoquant les « attributs » des saints dans les icônes. Dans le même esprit, certains personnages sont revêtus de tenues militaires qui leur confèrent une allure royale ou héroïque.

Les modèles sont en général peints à l’âge adulte, même si la momie associée est plus âgée : il s’agit de visages d’éternité destinés à traverser le temps, et pas de représentations anecdotiques. On retrouve encore là une analogie avec l’icône.

L’identification précise est validée par l’inscription du nom du défunt sur la momie (on pense à l’importance du « nom » dans l’icône).

Les « Portraits du Fayoum » sont un exemple du syncrétisme culturel de l’Égypte à l’époque romaine, alliant apports hellénistiques et romains et héritage pharaonique. Ils constituent une sorte de passerelle entres les cultes antiques et l’icône.

(1) lire André Grabar, Les voies de la création en iconographie chrétienne et particulièrement le chapitre III sur le portrait et l’imago clipeata.

(2) On peut lire cet article sur le levkas au Moyen Âge. On trouve en lien toute une série d’articles qui illustrent les méthodes que nous utilisons aujourd’hui : la série « le levkas chez Solange » (premier article ici, la suite apparaît facilement) et « préparer le levkas » (premier article ici).


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Le bandeau des anges

Ange attribué à Manuel Panselinos de Thessalonique, à découvrir ici

J’ai suivi en janvier 2023 un cours intitulé « L’hospitalité d’Abraham dans l’art des trois monothéismes » dispensé par François Boepsflug dans le cadre de l’Academy for Christian Art. Une question a vite été posée par le public : « pourquoi, dans les icônes, les anges (1) portent-ils ce petit bandeau se prolongeant derrière les oreilles par des sortes de rubans virevoltants ? ». J’avais en tête une réponse mais sans aucune référence. J’ai commencé par interroger mes collègues iconographes de différents horizons et ateliers de France et d’ailleurs.

Les réponses étaient concordantes et en voici quelques- unes :

Pour Virginie (Institut Périchorèse à Montréal), « les bouts de ruban qui virevoltent s’appellent les « écoutes ». C’est le souffle de l’Esprit Saint qui guide les anges en vue d’accomplir la mission donnée par Dieu. »

Pour Laurence (Atelier du Chemin) : « Les anges sont peints comme les athlètes du monde byzantin avec une sorte de ruban pour tenir leur cheveux. Les anges sont les « athlètes » de Dieu. Les deux bouts du ruban symbolisent l’écoute et l’obéissance à Dieu. Ils sont aussi comme des antennes qui leur permettent d’instantanément entendre et transmettre les paroles de Dieu. »

Pour Père Antoine Gelineau : « J’aimais dire aux élèves que ces antennes étaient comme des écouteurs car les anges sont continuellement « branchés »  sur Dieu dont ils sont avant tout les messagers : c’est leur fonction de service. Les anges sont là pour nous aider à recevoir à écouter et à rappeler la Parole de Dieu. Les anges, avant tout, ont un lien avec la Parole… »

Les autres réponses confirmaient ces hypothèses, même si un autre ami très érudit, Stéphane (les Cigales éloquentes), m’a fait remarquer avec pertinence que cette approche est probablement récente et un peu « psychologisante » !

Mentionnons ce qui peut sembler un détail, mais témoigne de la façon dont la peinture des icônes est enseignée depuis toujours. Toutes les personnes interrogées ont répondu : « je n’ai pas de référence précise, cela m’a été transmis par celui/celle qui m’a enseigné ». Eh oui, l’enseignement de l’iconographie est avant tout une transmission orale, ce qui pose problème aux chercheurs qui ont justement besoin de références précises !

En voici cependant quelques-unes, livrées ici comme une simple série d’hypothèses.

Didron, dans son Iconographie des anges (Tome 11 des annales archéologiques 1851) mentionne à la page 361 « un petit triangle (…) sous forme de diadème en croissant renversé », mais sans donner plus d’explications.

Michel Quenot, dans son livre « Des anges de lumière à l’icône » mentionne succinctement ce ruban : « ils portent un bandeau sur la tête et un ruban qui remonte de part et d’autre vers le haut, comme deux antennes recevant l’inspiration divine. »

Dans son blog très riche, André Prevost, peintre d’icônes et de totems en Colombie britannique, retranscrit une leçon de Théologie des icônes orthodoxes donnée le 4 novembre 2005, par le père Constantin Strategopoulos, vicaire de l’Église de la Dormition de la Sainte Métropole de Glyfada en Grèce :

« (…) les anges chantent la gloire de Dieu ; tous les anges sont nécessairement représentés avec un bandeau autour de la tête (…) de longs cheveux et toujours avec un ruban qui les retient – et c’est un élément dogmatique, pas secondaire. Et que signifie ce ruban ? Eh bien, les puissances célestes, comme les êtres logiques terrestres – c’est-à-dire les êtres humains – sont des êtres animaux avec raison. L’homme est un animal « divinisable » . Les anges ont leur esprit tourné en permanence vers Dieu (…). Ainsi, parce que les anges ont leurs esprits « rassemblés » et concentrés sur Dieu, nous plaçons un ruban autour de leur abondante chevelure (ce qui dénote leurs nombreux charismes). Cela aussi est un élément dogmatique. Il n’y a pas d’anges représentés sans un ruban noué autour de leur tête » 

J’aime bien l’idée des anges tellement proches de Dieu, « rassemblés », que ce ruban témoignerait de l’unité parfaite entre les anges et Dieu : pour l’humain, c’est une quête sans fin…

Un autre article toujours transmis par Laurence a retenu mon attention. Il émane d’Amelia R. Brown, docteur en histoire ancienne et en archéologie méditerranéenne de l’Université de Californie à Berkeley qui enseigne actuellement en Australie. Son article fort intéressant, truffé de références est intitulé : « Peindre les sans corps : anges et eunuques dans l’art et la culture byzantins » (l’intégral est ici). J’y ai découvert que l’iconographie des anges est souvent liée à celle des eunuques de la cour byzantine. S’ils sont radicalement différents par nature, la similitude de leur fonction semble avoir induit des similitudes de représentation (je reviendrai sur ce sujet dans un prochain article). 

La conséquence est l’élaboration progressive de la représentation des anges qui se fixe peu à peu dans l’iconographie : les anges de la sphère divine sont généralement représentés en vol. Ils portent une longue robe et un manteau blancs, sont chaussés de sandales et sont iconographiquement liés à des motifs païens de victoire. Les anges représentés « les pieds sur terre » parmi les humains apparaissent sous la forme de jeunes hommes blonds portant de longs cheveux bouclés retenus par un bandeau. Vêtus le plus souvent d’une robe blanche, ils portent l’orbe et le bâton, symboles du pouvoir impérial. Il semblent arriver dans un souffle, toujours virevoltant, et l’effet d’apesanteur et de mouvement est accentué par les liens du bandeau flottant derrière leur tête.

(1) Comme nous évoquons les anges présents devant Abraham et Sarah, il va de soi que nous parlons ici seulement des anges anthropomorphes, et pas des autres puissances angéliques.


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La terre d’ombre

La terre d’ombre est un pigment à peine différent de la terre de Sienne à un détail près : il comporte des quantités beaucoup plus importantes d’oxyde de manganèse. On pourrait même dire, tout simplement, que ce pigment est un ocre particulièrement chargé en oxyde de manganèse : en général 12 à 15 % et parfois jusqu’à 20 %. Plus la teneur en manganèse est élevée, plus la couleur est foncée. Dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, la dénomination terre d’ombre ne peut pas être attribuée juste en vertu de sa tonalité : c’est la composition chimique qui est déterminante.

L’oxyde de manganèse contenu dans la terre d’ombre lui donne, en peinture à l’huile, des propriétés siccatives.

Certaines terres d’ombre, les oxydes de manganèse hydratés ou psilomélanes, sont responsables de la tendance signalée par J-F-L Mérimée (1) et virent au noir. En effet ces composés réagissent avec l’acidité qui se manifeste lors du séchage de la peinture.

L’origine de la dénomination est un petit peu controversée : on ne sait pas si elle évoque la tonalité sombre, ou bien si son usage préférentiel consiste à souligner les ombres dans la peinture, ou bien si ce pigment a reçu son nom en raison de sa terre d’origine : l’Ombrie. Signalons que l’Ombrie propose de belles terres d’ombre mais la source la plus riche de ce pigment est assurément l’île de Chypre d’où il est importé depuis le XIXe siècle dans une gamme de variétés étonnantes (2). D’autres gisement se trouvent dans d’autres régions d’Italie, en Angleterre ou en Allemagne, mais ceux de Chypre restent les plus réputés.

Comme c’est souvent le cas avec cette gamme de composés, on trouve également ce pigment sous forme « calcinée », ce qui donne généralement une nuance plus rougeâtre. L’opération a pour effet de détruire toutes les impuretés organiques et de provoquer une certaine déshydratation des oxyde minéraux. 

Alors, même si en principe on ne fait pas d’ombre dans les icônes (mais au contraire des lumières), un glacis de terre d’ombre est souvent bienvenu…

(1) Jean-François-Léonor Mérimée (1757-1836) était peintre et chimiste. Je m’appuie souvent pour mes recherches sur le livre Des liants et des couleurs par Jean Petit, Jacques Roire et Henri Valot (Éd. EREC ) qui est un commentaire éclairé et mis à jour de l’ouvrage de J-F-L Mérimée, De la peinture à l’huile (1830).

(2) J’ai réalisé un nuancier de mes terres d’ombre et en ai répertorié plus d’une vingtaine, dont la moitié provient de Chypre.


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La terre de Sienne

Le pigment « terre de Sienne » fait partie de la palette de base de l’iconographe comme du fresquiste. Il s’agit d’une argile contenant de l’oxyde de fer (comme l’ocre jaune). La différence principale avec les ocres est liée à la proportion d’argile présente, mais la frontière entre les deux n’est jamais bien nette. La terre de Sienne est surtout plus transparente que l’ocre avec des tonalités qui se révèlent plus intenses, raisons pour lesquelles le pigment occupe une place de choix dans la palette des peintres.

La terre de Sienne véritable. provient à l’origine de Toscane et en particulier des alentours de Sienne, cette si belle région de collines vallonnées, célèbre pour l’extraction et la production du pigment et l’épanouissement de la peinture à la Renaissance.

On trouve cependant le même type de pigment en Sardaigne, en Sicile, à Chypre, en Angleterre, au Mexique, en Pennsylvanie et dans les chaînes de montagnes de Virginie, dans le sud de la Chine, dans les Ardennes, les montagnes du Luberon, celles de Hartz en Allemagne et dans la partie européenne de la Russie…

Les terres de Sienne ont été utilisées comme pigment depuis la Préhistoire dans la peinture de certaines grottes ornées, mais la dénomination terra di Siena est apparue dans les traités de peinture seulement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle est appréciée par les peintres pour sa transparence (meilleure que celle de la plupart des autres terres) et sa stabilité. Elle fut employée par des peintres comme Rembrandt, Corot, David, Géricault ou Ingres… Son principal défaut se manifeste dans la peinture à l’huile car le pigment est très absorbant et nécessite une grand quantité de liant, ce qui limite son pouvoir couvrant et sa siccativité.

Ces terres se composent essentiellement d’hydroxyde d’oxyde de fer (le principal élément qui détermine la couleur) et d’argile mais contiennent aussi de petites quantités d’oxyde de manganèse (autour de 1%) mêlées à de la goethite et à de l’hématite. Si l’oxyde de manganèse est très présent, la tonalité est plus sombre (s’il y en a vraiment beaucoup, on parle alors de terre d’ombre).

On distinguer deux sortes de terre de Sienne :

  • Naturelle
  • Brulée (terre naturelle calcinée), contenant 45 à 70 % d’oxyde de fer rouge et beaucoup plus d’oxyde de manganèse que la terre de Sienne naturelle. Elle tend davantage vers le rouge ou le brun : elle est très chaude, un peu opaque et sa teinte varie selon le degré de calcination.

La terre de Sienne peut être aussi utilisée comme patine pour altérer une couleur et lui donner un aspect vieilli. Le pigment n’est pas toxique, mais, comme tout pigment, il faut le manipuler avec soin afin de ne pas inhaler la poussière. La couleur naturelle est aujourd’hui souvent remplacée par des oxydes de fer synthétiques, efficaces mais moins subtils.

Et voilà avec la terre de Sienne tout un univers de tonalités qui se déclinent subtilement, et cette fois encore, nous invitent au voyage…

  1. La goethite, une variété d’oxyhydrixyde de fer, est connue depuis la Préhistoire. Elle a été utilisée comme pigment dans les peintures de la grotte de Lascaux.


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Mar Elian l’Ancien (Mar Elian al-Sheikh)

Mar Elian l’Ancien, icône sur tilleul, 18 x 32 cm, 2022. Les inscriptions sont en français, en syriaque et en arabe

Il se trouve dans le désert syrien, quelque part entre Damas, Homs et Palmyre, un monastère cher à mon cœur, celui de Mar Elian. Mais qui est donc le saint qui a donné son nom au lieu ?

Mar Elian al-Sheikh (مار اليان saint Julien l’Ancien) est un saint syriaque du IVe siècle. Sa vie est racontée par les poèmes de son plus célèbre disciple : Mar Ephrem (saint Ephrem le syrien) (1).

Le saint est originaire de Urfa (Edesse, sud de la Turquie). Homme d’une grande humilité et amoureux du silence, il mène avant tout une vie d’ermite. Il manifeste des dons particuliers et guérit (ou parfois même ressuscite) miraculeusement de nombreuses personnes. Une centaine de disciples l’entourent et un petit groupe l’accompagne chaque année dans son pèlerinage à Jérusalem. Au cours de l’un de ces voyages en Égypte, il construit une chapelle que l’on peut découvrir encore aujourd’hui au sommet du Mont Sinaï.

À la fin de sa vie (367 ?), sentant son heure arriver, il demande à ses disciples de mettre son corps dans un charriot tiré par des bœufs et de l’ensevelir là où les bêtes s’arrêteront, quand les vivres seront épuisés : cela se produit à l’emplacement actuel du monastère, à l’ouest de Qaryatayn.

Ses disciples déposent alors le saint dans un sarcophage de marbre. Il est vénéré pendant des siècles, objet de prière et de vénération, source de bénédiction et de guérison.

Le monastère, érigé près d’une source, connaît une longue histoire (2) et attire les pèlerins, chrétiens et musulmans. En l’an 2000, le monastère de Mar Elian est confié à la communauté de Deir Mar Moussa fondée par le jésuite italien : Père Paolo Dall’Oglio (3). Le père Jacques Mourad devient supérieur de Mar Elian. La spiritualité des deux monastères est inspirée de celle des Pères du Désert. Sur les trois piliers de leur règle (prière, hospitalité et travail), se greffe l’appel à un dialogue spirituel en vérité avec l’Islam.

Le Père Jacques est enlevé en 2015 mais réussit à s’échapper cinq mois plus tard, (lire Un moine en otage (4), puis le monastère est détruit et la tombe du saint profanée (lire cet article ici). Mais les reliques du saint ont été retrouvées et actuellement, le monastère est en reconstruction. En collaboration avec la direction des Antiquités syriennes, un archéologue spécialisé a restauré avec les débris trouvés, le tombeau du saint avec beaucoup de finesse.

Une fête émouvante a eu lieu le 9 septembre 2022 (jour de la fête du saint et date d’un pèlerinage traditionnel). Voir ici

Les reliques de Mar Elian sont arrivées devant la porte du monastère, portées par un chrétien et un musulman. Les évêques ont oint la porte d’entrée du monastère, ainsi que le nouvel autel, le tombeau restauré et les murs, avant une procession et une célébration eucharistique. Tout le monde était rassemblé, musulmans et chrétiens, pour vivre ensemble ce moment unique d’amitié et de fraternité. Enseignements et témoignages se sont succédé, encourageant au dialogue, à la reconstruction et au retour la culture des champs alentour. Quatre prêtres ont béni avec l’huile sacrée le peuple de Dieu réuni pour la circonstance, chrétiens et musulmans. Ensuite, quatre personnes d’horizons divers (chrétien et musulman, laïc et moine) ont porté ensemble le reliquaire de Mar Elian et mis dans le sarcophage qui a été fermé, tout en chantant un hymne très beau de saint Ephrem le Syrien, en syriaque et en arabe : « heureux le bon serviteur, quand le Seigneur viendra il le trouvera éveillé, travaillant dans le champ, du matin jusqu’au soir… ».

NB : Il existe deux Mar Elian à ne pas confondre : Saint Julien d’Émèse dit Mar Elian, « le jeune », médecin et martyre du IIIe siècle et Mar Elian de Quaryatein-Mar Elian al-Sheikh dit l’« Ancien », un ermite qui vécut à Edesse, mort en 367 et présenté dans cet article.

  1. Je crois que Theodoret de Cyr raconte aussi son histoire. Je dois encore chercher !
  2. J’espère pouvoir écrire un autre article à propos de l’histoire du monastère.
  3. Enlevé en 2013 par Daech, et disparu depuis.
  4. Jacques MOURAD et Amaury GUILLEM, Un moine en otage, Éditions de l’Emmanuel, 2018.


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Un léger décalage…

Demain les cours reprennent. 

Je suis souvent surprise en regardant mes élèves de voir à quel point certains travaillent en équilibre sur leur chaise, le corps en torsion ou incliné d’un côté. Peut-être parce que j’ai suivi avec passion depuis toujours des cours de danse et de Qi Gong, ces postures m’interrogent. 

La règle de l’iconographe (voir ici) indique tout au début : « Avant de commencer ton travail, fais un signe de croix, prie en silence et pardonne à tes ennemis. Signe toi à plusieurs reprises durant le travail afin de te fortifier physiquement et spirituellement. » Je ne reviendrai pas sur les significations inépuisables du signe de croix. Soulignons seulement que ce geste qui relie la verticalité et l’horizontalité, indique la direction juste pour aider le corps à se centrer et à se recentrer.

Le geste vertical relie le mental, le souffle au milieu de la poitrine, l’action dans le ventre, le tout bien aligné. Ce signe nous relie au ciel comme à la terre. Il est notre ancrage.

Parce que nous ne sommes pas seuls au monde, le geste horizontal nous relie aux autres, à leur présence, tout en allant de la justice ou de la règle (à droite) à la miséricorde et l’amour (à gauche) en passant par le cœur.

Ainsi, se signer signifie se relier à la prière bien sûr mais aussi redessiner son axe, ses axes, à la fois dans une stabilité et dans un lien.

Dans les Écrits sur l’Hésychasme (1) le père spirituel commence son enseignement en recommandant au jeune disciple de méditer comme une montagne : « La première indication qui lui était donnée concernait la stabilité. L’enracinement d’une bonne assise. En effet, le premier conseil que l’on peut donner à celui qui veut méditer n’est pas d’ordre spirituel mais physique : assieds-toi. » À la fin du paragraphe il est bien précisé d’une façon symbolique que la stabilité ne suffit pas : « la méditation hésychaste à l’enracinement, la stabilité des montagnes, mais son but n’est pas de faire de toi une souche morte mais un homme vivant ». Dans nos icônes cela se traduit par un dessin d’une grande stabilité construit à partir d’un axe vertical qui croise l’autre axe, parfaitement horizontal. Mais en regardant de près, on trouve la plupart du temps un infime décalage du centre. Peut-être que l’humanité, ce qui fait du dessin non pas une « souche morte » mais un être vivant se loge dans ce minuscule écart qu’on retrouve dans la plupart des constructions… 

Ainsi, veillons à notre posture lorsque nous peignons, n’oublions pas le signe de croix, mais sans raideur, en restant dans notre humanité qui créera toujours ce « léger décalage ».

(1) c’est pour moi un livre spirituel fondamental dont je m’inspire beaucoup dans mes cours : LELOUP Jean-Yves, Écrits sur l’Hésychasme, Une tradition contemplative oubliée Spiritualités vivantes, Albin Michel, 1990

Article du 21 septembre 2022


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La Chapelle de Pâquier à Saint-Martin-de-la-Cluze

Nos pas sont revenus encore aujourd’hui à La Chapelle romane de Pâquier à Saint-Martin-de-la-Cluze, blottie entre les arbres, lieu de paix et d’inspiration.

On ne sait pas exactement quand elle a été érigée, peut-être autour de l’an mille comme le suggère Émile Gilioli (voir le poème ci-dessous). Toujours est-il que la première référence écrite date des premières années du XIIe siècle. Elle présente une architecture romane typique du Trièves.

Le clocher, remonte au XVIIe, peut-être plus tôt mais les cloches ont disparu lors de la Révolution. Certaines ouvertures dateraient du XIVe siècle. 

On entre dans la chapelle par l’unique petite nef ; une atmosphère très spéciale d’apaisement s’en dégage, un « silence de paix ». Sur la droite, une petite chapelle consacrée à saint Claude et saint Bernard fut réalisée en 1497 par la famille Alleman, l’une des familles seigneuriales les plus anciennes et puissantes du Dauphiné. La famille cherchait alors à asseoir son pouvoir à travers son implication religieuse. L’abside de l’église est décorée de peintures murales plus récentes et assez naïves.

Depuis 1926, la chapelle est protégée au titre des monuments historiques. Elle est dédiée à saint Christophe.

Entourée d’un modeste cimetière, on trouve parmi les tombes, inclinée et à moitié cachée par la végétation, celle d’Émile Gilioli (et de son épouse Babet). Avant tout sculpteur abstrait, l’artiste vécut dans le village, où il avait installé son atelier, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il a laissé des écrits et des réflexions sur l’art d’une grande beauté. La Chapelle de Pâquier fut pour lui une grande source d’inspiration et il venait souvent s’y ressourcer.

« Église Romane de Pâquier en l’an mille.
C’est la densité inventive des formes
qui me tient cloué là pendant des heures.
Je ne me sens pas seul.
Ce silence qui est autour de cette masse dissymétrique,
cette forme en marche dans tous les sens
comme si elle était perdue à jamais,
comme un oiseau de la terre…


Église Romane de Pâquier d’avant l’an mille.
Je ne suis pas seul, va.
Tu me tiens, tu me regardes, avec ton nez sur la tête,
comme un oiseau de la terre qui était dans le plafond
de ma chambre quand j’étais tout petit enfant.
Plus petit, je me sens par tes belles proportions.
Va ! la place que tu occupes est devenue un point d’éternité.
Ce silence de paix me donne envie de dormir avec toi,
pour toujours. »

Texte de Émile GILIOLI
Tiré de « La sculpture », Robert Morel Éditeur, 1968

Article du 18 septembre 2022