Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Une Nativité venue du Sinaï

À l’automne 2004, a eu lieu à la fondation Gianadda , à Martigy, une exposition intitulée Trésors du monastère Sainte-Catherine Mont Sinaï Égypte.

Nativité ste Cath copieLà, je suis tombée en arrêt devant une petite icône, presque une miniature vu la richesse des modèles, datant de la fin du XIIIe siècle, peut-être début XIVe siècle. Elle mesure environ 31 cm sur 44 et juxtapose deux scènes : en haut, une Crucifixion et en bas, une Nativité. Les deux scènes sont unifiées par un fond bleu profond (j’ai utilisé un mélange de bleu outremer sombre et d’ombre bleue). Le marbre rose, dans la grotte, évoque la pierre d’onction sur laquelle le Christ fut déposé après la descente de croix. Le motif est donc un peu comme la suite de l’icône de la Crucifixion, la vie et la mort toujours liées, le cycle de la vie. Le lien est assez habituel, surtout dans les icônes éthiopiennes et certaines représentations occidentales.

Il est possible que cette icône, à la composition particulière, ait été offerte par des pèlerins venus de Cilicie arménienne. Dans cette région, les influences byzantines, musulmanes et chrétiennes se mélangent, ce qu’on retrouve dans la facture de cette icône. Je suppose que c’est justement cela qui m’a attirée. Je l’avais déjà réalisée en 2008, mais plus proche du modèle d’origine. Ici, les personnes qui l’ont commandée souhaitaient un petit format (19,5 x 24 cm). Aussi, je l’ai un peu simplifiée, car les visages sont minuscules (5 mm pour le visage de l’Enfant).

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Icône sur tilleul, 19,5 x 24 cm, 2017

Bref, ce modèle est composite, habité d’influences nombreuses, tout autant latines (comme la posture des mages agenouillés) qu’orientales, sans oublier une influence arménienne et islamique (comme les motifs à trois points qui sont, dans le modèle d’origine, posés sur le vêtement du petit joueur de flûte assis en tailleur). Mais faute de place, je ne l’ai pas représenté ici. Aimant beaucoup ces motifs à trois points, je les ai utilisés pour la végétation.

Et voilà comment on peut s’appuyer sur un modèle qui nous inspire, respecter les éléments incontournables de la composition (la grotte, le coussin rouge de Marie, etc.) tout en les gardant bien vivants.

Article du 29 septembre 2017


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Le voyage de Didron l’archéologue

Delphes

À Delphes…

Nous avons rencontré, les semaines précédentes, Adolphe-Napoléon Didron, un archéologue du XIXe siècle, qui publie Le Guide de la peinture en 1845. Le voilà en route vers l’Orient. Il découvre ces contrées lors d’un voyage effectué en août et septembre 1839. Il visite d’abord Athènes et ses attachantes petites églises, restées debout malgré les vicissitudes de l’histoire. Certes, de nombreuses fresques sont recouvertes de badigeon ou complètement détruites, mais certaines ont résisté et le touchent. Il parcourt alors la campagne des environs et découvre de charmants monastères, des églises entièrement fresquées, des mosaïques à fond d’or. À Delphes, il arrive dans un prieuré caché par l’ombre des oliviers. Là se niche une petite église couverte de fresques. Plus que jamais, il se réjouit d’arpenter ces régions qui l’enchantent.

Il étudie les fresques et les mosaïques de chacun des ces lieux, du plus intime au plus imposant, avec le plus grand soin, prenant des notes minutieuses, destinées à compléter les dessins relevés par ses compagnons de voyage.

Il s’étonne de découvrir une absolue cohérence dans la manière de représenter les personnages, qu’il s’agisse de leur expression, de la couleur des vêtements, de la posture, de l’ordonnancement de chacun dans l’église, quel que soit l’artiste à l’origine de l’œuvre, et même lorsque plusieurs siècles séparent leur réalisation.

Et voilà le genre de réflexion qu’il se fait sans cesse : « En France, dans des monuments de même époque et de même style, mais de province différente, on surprend de curieuses variétés dans la représentation d’un sujet semblable. Ainsi, à la chute d’Adam, le fruit qui séduit Eve est souvent un raisin en Bourgogne et en Champagne ; c’est ordinairement une figue ou une orange en Provence, et quelquefois une pomme en Normandie. Mais, en Grèce, dans la ville d’Athènes comme dans celle de Mistra, dans la Béotie comme dans le Péloponnèse, toutes les images sont des copies prises l’une sur l’autre, et comme des contre-épreuves. »

Un peu plus loin il ajoute : « On dirait qu’une pensée unique, animant cent pinceaux à la fois, a fait éclore d’un seul coup presque toutes les peintures de la Grèce. » Il n’en faut pas plus pour aiguiser la curiosité de notre archéologue… et la nôtre ! Finalement, il cherche à répondre à la question que beaucoup se posent devant une icône : quel est ce « langage » universel ? Pourquoi la Renaissance occidentale a-t-elle conduit à t-elle ouvert sur tant de « liberté » en art ? Et quelle est la différence, le message et le sens de « la manière de peindre » byzantine (et dans une large part médiévale) ? En bref : où se situe la « différence » ?

À suivre avec l’article Le peintre de Salamine

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).

Article du 25 septembre 2017 mis à jour le 15 février 2021


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Un échange avec Victor Hugo

refletsAdolphe-Napoléon Didron, archéologue français de renom a aussi été journaliste et éditeur. Il s’est surtout passionné pour l’iconographie du Moyen Âge chrétien. Sa curiosité l’a conduit au voyage, à la recherche, puis à la publication en 1845 du Guide de la peinture.  Il explique que sa passion pour l’archéologie lui est venue grâce à Victor Hugo. L’échange de correspondance entre les deux personnages figure au début de l’ouvrage et en illustre bien les thèmes privilégiés. Le voici, presque intégralement :

« Mon illustre ami

En quelques semaines vous avez construit, dans Notre-Dame de Paris, la cathédrale du Moyen Âge ; moi, je voudrais passer ma vie à la sculpter et à la peindre. Engagez-moi donc, architecte sublime, parmi vos ouvriers les plus dévoués, sinon les plus habiles.

Prenez, pour les parois et les chapiteaux, les tympans et les voussures, les verrières et les rosaces de votre monument colossal, ces personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament, de l’histoire, de la légende et de la symbolique : Dieu avec ses anges, ses patriarches, ses prophètes, ses apôtres et ses innombrables légions de saints (…)

La moitié de ce livre est à un moine byzantin ; le reste est à moi. Recevez, poète des Orientales et des Feuilles d’automne, ce que vous envoie le peintre du Mont Athos, ce que vous apporte l’archéologue de Paris, l’Orient par un grand artiste, l’Occident par un humble explorateur du passé.(…) ». Signé, Didron.

Et voilà la réponse de Victor Hugo :

« (…) Le curieux et excellent livre que vous mettez au jour s’adresse tout à la fois aux hommes de science et aux hommes d’imagination. Tout s’y trouve, mêlé et combiné dans une puissante et singulière unité : l’art et l’histoire, la poésie et la religion.

Vous faites une œuvre noble et utile, et j’y applaudis de tout cœur. Vous êtes du petit nombre de ces esprits élevés et patients qui expliquent, savamment et poétiquement, à l’Europe son architecture, à l’Eglise son symbolisme, au prêtre sa cathédrale, à tous les peuples leur passé, à tous les arts leur avenir, à tous les hommes le mystère qui est au fond de tous les temples.

Continuez. Ayez courage. Ce que vous faites est bon et beau. (…) C’est grâce à quelques hommes comme vous, que l’Europe voit se tourner aujourd’hui vers l’art si profond, si étrange et si admirable du Moyen Âge, non seulement tous les antiquaires, mais encore tous les penseurs. Pour les uns, c’est une étude ; pour les autres, c’est une contemplation.

Je vous serre la main, et je suis à vous du fond du cœur. Votre ami, Victor Hugo ».

Article du 18 septembre 2017


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« Le Guide de la peinture » (Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine)

OLYMPUS DIGITAL CAMERADécouvrons l’ouvrage principal sur lequel je me suis appuyée lors de notre périple de deux années (1). Il s’agit d’un manuel retrouvé et mis en forme au XIXe siècle, sorte de compilation de notes d’artistes, copiées à la main et transmises à travers le temps depuis le XIIe siècle. Il s’intitule Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine ou Le Guide le la peinture.

Je vais essayer de résumer l’histoire de ce document, ce qui n’est pas facile car de nombreuses imprécisions l’entourent.

En 1839, Adolphe-Napoléon Didron, un archéologue spécialiste du Moyen Âge français, entreprend un voyage en Grèce et au mont Athos. Il est frappé par la beauté et la cohérence des motifs des fresques et des peintures qu’il découvre, leur style et leur ordonnancement ; il cherche à comprendre s’il existe des recommandations spéciales données aux peintres. Après tout un périple, il finit par découvrir l’existence d’un « manuel du peintre », une sorte de vademecum du fresquiste et de l’iconographe, inlassablement recopié depuis des siècles. Il interroge et transcrit ses observations dans ses carnets et comprend que le travail des artistes byzantins s’appuie sur des notes, transmises de génération en génération, probablement depuis le XIIe siècle. L’essentiel du texte est attribué à un certain Denys de Fourna qui vécut dans un monastère au début du XVIIIe siècle. Un peintre du XIIe siècle, presque inconnu aujourd’hui, Manuel Panselinos de Thessalonique, serait peut-être à l’origine du manuscrit. L’ouvrage s’est ensuite étoffé, au fil du temps, par les notes d’autres artistes qui l’ont eu entre les mains et l’ont utilisé pour guider leur travail.

Après bien des obstacles, des rencontres et des recherches, Adolphe-Napoléon Didron parvient à se procurer une copie du précieux document, à le faire traduire puis à le publier en 1845 (2), encouragé dans son entreprise par le gouvernement de l’époque, mais aussi par Victor Hugo et par le roi Louis Ier de Bavière. Il enrichit le texte d’origine de nombreuses notes et fait le parallèle, chaque fois que possible, entre cette compilation, témoignage de l’art byzantin, et l’art du Moyen Âge occidental.

(1) J’avais publié cet article au début de la série d’émissions Carnets de peinture (voir ci-dessous)
(2) Adolphe-Napoléon Didron, (1806-1867), Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine (Denys de Fourna 1670?-1745?), Paris, impr. Royale, 1845. XLVIII + -483 p., avec index.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).  On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 11 septembre 2017 mis à jour le 6 février 2021


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La tempête apaisée

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La tempête apaisée, icône sur tilleul 25 x 30 cm, 2017. Fond azurite ; lapis-lazuli pour la mer

La scène est décrite dans L’Évangile de Marc (4, 39), Matthieu (8, 18.23-27) et Luc (8, 22-25). Comme d’habitude, j’ai eu envie de suivre le texte de Marc, celui qui me parle le plus et que je connais bien, en rajoutant par exemple le détail du coussin, à l’arrière.

« Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit :  » Passons sur l’autre rive.  » Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus dans la barque où il se trouvait, et il y avait d’autres barques avec lui. Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se mettaient sur la barque, au point que déjà, la barque se remplissait. Et lui, à l’arrière, sur le coussin, dormait. Ils le réveillent et lui disent :  » Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? « . Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer :  » Silence ! Tais-toi !  » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit :  » Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi ? « »

Depuis longtemps, je regardais ce modèle qui m’appelait. Encore une fois, au fil des coups de pinceau, j’ai compris pourquoi. Je garderai pour moi ce qui relève de l’intime, mais cela fait partie de la pratique du peintre d’icône, ou de celle de tant de pratiques artistiques ou spirituelles, corporelles aussi (je pense aux arts martiaux ?). Peindre ou sculpter, danser ou contempler, et très vite abandonner l’idée qu’on avait au départ, se fondre dans les coups de pinceaux ou les gestes et laisser venir, laisser la tempête s’apaiser pour voir poindre (ou seulement deviner ?) au fond d’une eau calme, des pensées, des évidences qu’on n’imaginait pas et les laisser remonter à la surface, à leur rythme. Et puis relire le texte, ne pas analyser, juste tendre l’oreille, chercher la phrase qui nous parle (pour moi, ce sera celle que j’inscrirai sur l’icône). Enfin, dans ce va et vient qui ressemble aux coups de la (dérisoire) rame de l’apôtre au premier plan, entrevoir quelques petites lumières qui calment, éclairent, apaisent nos vies et nos tumultes.

Article du 6 septembre 2017


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Carnets de peinture

Carnets de peinture

Après six années passées ensemble avec les couleurs, autour de l’émission Tout en nuances, je vous propose, chaque lundi à 11 h 05 sur RCF Isère (103.7),  une nouvelle série intitulée Carnets de peintures. Dans l’esprit du carnet de voyage, nous entrerons ensemble dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel ». Il concerne, entre autres, la peinture de l’icône, la fresque, l’enluminure, la calligraphie, la mosaïque, la taille de pierre, l’orfèvrerie ou le vitrail…

Pour simplifier, c’est un peu la « manière de peindre » des artistes médiévaux et byzantins, jusqu’à la Renaissance. Ils ont transmis techniques et pratiques à leurs élèves, par oral, ou en notant sur des carnets leurs recommandations. Elles sont des repères, des constantes, des témoignages sur la beauté, la continuité d’un langage symbolique, spirituel et parfois universel qui traverse le temps.

Je propose de construire cette nouvelle émission en m’appuyant particulièrement sur un ouvrage : le Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine qu’on appelle aussi Le Guide de la peinture, une compilation qui pourrait remonter au XIIe siècle. Bien sûr, j’aurai recours à d’autres textes, ici ou là, en particulier le Traité des divers arts du moine Théophile qui date du XIIe siècle ou Le livre de l’art de Cennino Cennini, peintre italien de la fin du XIVe siècle, ouvrage sur lequel je me suis souvent appuyée lors des émissions précédentes. S’y mêleront bien sûr mes réflexions et mon expérience quotidienne de peintre d’icônes, souvent partagée avec mes élèves. Nous suivrons ensemble un fil rouge qui mêlera technique ancienne – mais une technique ancienne s’avère parfois une superbe technique pour aujourd’hui – et sens spirituel ou théologique, enseignement pour la vie.

Les anciens ont beaucoup à nous apprendre : les aînés transmettent les racines qui nous permettent de nous ancrer et de grandir. À chacun de puiser ce qui lui parle et l’inspire. Artistes ou amateurs d’art, nous venons d’une longue histoire. Que notre art soit qualifié d’art sacré ou d’art profane, nous avons tant à recevoir, des techniques comme des attitudes des artistes du passé. Et puis, c’est un peu comme si nous prolongions leur œuvre, leur méditation, leur enthousiasme et leur recherche, leurs doutes parfois, en prenant joyeusement le relais qu’ils nous tendent, en saisissant le pinceau pour créer à notre tour.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).  On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 4 septembre 2017