Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


1 commentaire

L’étape du dessin de l’icône

Le conseil premier des maîtres est de « dessiner sans relâche » (article ici). Mais comment ? Beaucoup de nos élèves n’ont aucune notion de dessin et cette étape de la réalisation de l’icône leur semble la plus ardue et la moins gratifiante.

Certains ateliers proposent de décalquer ou bien de partir d’un dessin tout préparé. Ce n’est pas notre façon de faire. On perd beaucoup à manquer cette étape, ce tâtonnement qui ressemble au début hasardeux d’une rencontre, mais permet la découverte d’une symbolique d’une richesse inépuisable.

Pour celles et ceux qui ont des difficultés à dessiner, je conseiller de procéder ainsi : commencer par très bien choisir son modèle avec l’aide de l’enseignant, car un modèle attrayant n’est pas forcément un modèle sur lequel on peut s’appuyer (un peu comme une jolie béquille pleine de couleurs… mais sans aucune solidité !).

Ensuite, apprivoiser le dessin librement, aux dimensions de la planche qu’on utilisera. Ne pas s’inquiéter si le résultat semble catastrophique. C’est le temps d’une première approche : on se présente l’un à l’autre avec ses fragilités et son impuissance. Puis à l’aide des proportions étudiées et muni du compas, vient le moment de vérifier, observer, améliorer, rendre le dessin « juste » et esthétique.

C’est une des raisons pour lesquelles, dans la pédagogie que nous pratiquons (1), les élèves passent beaucoup de temps sur la première icône, sur le dessin du visage de face, la mémorisation des proportions qui, à force, impriment leur trace et s’inscrivent en chacun.

La mesure du nez détermine le « module » de base. Ce n’est pas une « invention » fantaisiste ! Denys de Fourna, dans son Guide de la peinture page 52 donne ces indications :

« Faites d’abord la première mesure de façon à la diviser en trois parties : le front pour la première, le nez pour la seconde et la barbe pour la troisième. Faites les cheveux en dehors de la mesure, de la longueur d’un nez. Divisez de nouveau en trois parties l’espace compris entre la barbe et le nez ; le menton est pour deux mesures, la bouche pour une, et la gorge vaut un nez. (…) Les deux yeux sont égaux l’un à l’autre, et l’intervalle qui les sépare est égal à un œil. (…) De face, il ne faut qu’un œil (entre l’œil et l’oreille). L’oreille doit être égale au nez. »

C’est exactement la proportion de l’iconographie comme d’une grand partie de la peinture médiévale, avec ces conventions particulières qui s’écartent un peu de l’anatomie. Cette différence s’explique par l’importance de la dimension symbolique qui s’y rattache : la construction de base s’organise autour d’Un cercle divisé en trois cercles concentriques et évoquant la Trinité. Cette construction, propre au dessin du visage, se décline ensuite de diverses manières sur l’ensemble de l’icône.

Une importance majeure est donnée au regard exagérément grand, à la posture frontale et à la disproportion du haut de la chevelure (2). Ainsi, le personnage semble s’avancer vers nous, aller à notre rencontre… pour nous placer au centre de la construction. Quand on regarde l’icône, c’est fort. Quand on la dessine, ça l’est encore davantage…

  1. En ce qui me concerne, celle que m’a transmise Ludmilla.
  2. On peut observer au cours de l’évolution picturale des XIIIe et XIVe siècles occidentaux, ce haut de la chevelure des personnages qui reprend sa place anatomique, s’éloignant par là de la signification spirituelle.

Article du 5 février 2021