Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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La Vierge au chardonneret

Détail traité à la tempera, 13 x17cm, 2015

Détail traité à la tempera, 13 x 17 cm, 2015

La Vierge au chardonneret n’est pas un sujet d’icône, mais un thème récurrent de l’iconographie chrétienne au tout début de la Renaissance. Il apparaît dans la statuaire gothique française au XIIIe siècle et connait un immense succès dans la peinture italienne du Trecento et de la Renaissance.

Sa représentation la plus fréquente est une variation très proche du motif traditionnel de la Vierge à l’Enfant : Jésus,  assis sur les genoux de Marie tient dans une de ses mains un chardonneret élégant (Carduelis carduelis) – cardollino en italien.

Le chardonneret est un petit oiseau multicolore reconnaissable à la zone rouge vif qui entoure son œil très noir et son bec conique rose, et à la petite bande jaune vif qui traverse son aile.

Symboliquement, il annonce le sacrifice du Christ lors de la Passion : le chardon épineux dont il se nourrit évoque la couronne d’épines, alors que les taches rouges de sa tête renvoient au sang du Christ. En effet, on raconte que le petit oiseau (dans certains récits accompagné d’un rouge-gorge et/ou d’un pinson) aurait tenté d’extraire les pointes aiguës fichées dans la tête du Christ. L’oiseau aurait été éclaboussé d’un peu de sang et aurait eu le privilège de conserver cette belle couleur à travers le temps.

Ambrogio Lorenzetti

Ambrogio Lorenzetti

On trouve ce modèle environ cinq cents fois dans la peinture de la Renaissance, réalisé par 254 artistes différents, italiens pour la plupart. Une des plus anciennes est la Vierge d’Ambrogio Lorenzetti (Pinacothèque de Sienne), peinte vers 1340, dans une composition très proche de celle de icônes. La plus célèbre est vraisemblablement la Madonna del cardollino de Raphaël (Florence, musée des Offices), une œuvre de jeunesse du peintre datant de 1506. Marie y est représentée avec deux enfants : le petit saint Jean tient le chardonneret, tandis que le Christ le caresse.

Raphaël

Raphaël


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La Vierge du Signe

Vierge du signe. Début XIIIème siècle. Yaroslav Galerie Tretiakov. Moscou.

Vierge du signe, début XIIIe siècle, Yaroslav, Galerie Tretiakov, Moscou

La Mère de Dieu prie, les mains levées pour la prière dans l’attitude antique de l’Orante, accueillant le désir de Dieu sur elle. Son geste reprend en réalité le geste de Marie adressé à l’ange lors de l’Annonciation et cette composition tricote le thème de l’intercession avec celui de la conception. Deux célèbres icônes de l’Annonciation datant de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle conjuguent clairement ces deux événements : l’une est conservée au mont Sinaï, l’autre à la galerie Trétiakov à Moscou. Jésus y apparaît par anticipation dans le sein de Marie, afin de figurer le début de l’Incarnation, l’instant où Marie accepte son rôle de Mère de Dieu après l’annonce de l’ange.

Dans les fresques des catacombes, Marie est souvent représentée dans cette attitude qui met l’accent sur son rôle central d’intercession, sa prière pour les hommes ; elle est alors fréquemment en pied, de face, tout comme l’Enfant. Ce motif s’inspire du modèle antique de la déesse de la Victoire (Nike) ; les plus anciennes icônes de ce type sont proches des modèles triomphaux romains. Dans l’iconographie byzantine, ce sujet sera surtout développé à partir du IXe siècle.

Marie ne touche pas le Christ, mais celui-ci apparaît en médaillon, dans son sein, entouré d’une sorte d’auréole, de halo de lumière ou de mandorle, généralement dans un dégradé de tonalités bleues et symbolisant la gloire divine, la lumière, le Ciel. Elle montre, en quelque sorte « en transparence », l’Enfant à venir. Cette icône porte également le nom de Nicopéïa (la Victorieuse) ou Blachernitissa. Ce dernier nom provient du fait qu’une icône de ce type était exposée dans l’église principale du palais impérial, dédiée à la Vierge dans le quartier des Blachernes à Constantinople.

Icône Vierge du Signe 13x17cm, 2015

Icône Vierge du Signe, 13 x 17 cm, 2015

Ce motif iconographique, plus tardif, fait écho à l’annonce du prophète Isaïe : « Le Seigneur donnera lui-même un signe : voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Isaïe 7, 14). On retrouve ce thème du signe dans la prophétie de Syméon : « Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté » (Luc 2, 34).

Le Christ est un signe, ne s’impose pas et ne peut être accueilli que dans la foi. Chez les Grecs, on appelle parfois cette icône Platytera, c’est-à-dire « plus vaste que les cieux, espace de ce qui n’est pas dans l’espace », puisque Marie a contenu en son sein le monde entier, Celui que même les cieux ne peuvent contenir. Dans la liturgie de saint Basile, le prêtre adresse une prière à Marie également chantée par le chœur : « c’est en toi que Dieu a pris chair et se fit petit enfant, Lui, notre Dieu éternel. De ton sein, il fit son trône et rendit ton corps plus vaste que les cieux ».

Extrait de Le Regard de Marie dans l’icône, p. 39 à 41, disponible sur simple demande : 16 € (envoyé avec 4 cartes postales, pas de frais de port).

 

Article du 13 février 2015


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« Mon nom est Rouge »

Dans le cadre des émissions sur le rouge, j’ai proposé quelques passages choisis dans le livre D’Orhan Pamuk, Mon nom est rouge (1). Le roman, à la fois enquête policière et intrigue amoureuse, se déroule dans le milieu des peintres miniaturistes d’Istanbul à la fin de XVIe siècle. Le roman a remporté plusieurs récompenses, dont le Prix du Meilleur livre étranger en France en 2002.

La couverture de l'édition poche d'après une miniature persane du XVIème siècle, tirée de Haft Awrang

La couverture de l’édition poche d’après une miniature persane du XVIe siècle, tirée de Haft Awrang

Dans ce premier passage, le personnage qui incarne « le Rouge » nous donne une définition passionnante de la couleur et de son sens, puis évoque les modes de préparation du rouge, tels que l’utilisaient les miniaturistes ottomans et persans.

« J’entends ici votre question : qu’est-ce donc d’être une couleur ?

C’est le toucher de la pupille, la musique du sourd-muet, la parole dans les ténèbres. Parce que, depuis dix mille ans, j’ai entendu les chuchotis des âmes, de tous les objets, dans les livres, à longueur de pages, qui résonnent comme le vent dans les nuits de tempête, je puis vous dire que ma caresse, pour eux, est comme celle des anges. (…)

Quelle chance j’ai d’être le Rouge ! Je suis le feu, je suis la force ! On me remarque et l’on m’admire, et l’on ne me résiste pas. (…)

Mais silence ! et écoutez le récit de ma merveilleuse naissance, l’origine de l’écarlate ! Un peintre, expert dans les pigments, écrabouilla menu-menu, dans un mortier, sous son pilon, des cochenilles importées des contrées lointaines et torrides de l’Hindûstân. Pour cinq mesures de vermillon, il prépara la saponaire – une mesure – et une demie, juste une demie ! d’aventurine. Il fait bouillir la saponaire dans trois grandes mesures d’eau, puis y délaya son aventurine. Il fit réduire sur le feu le temps de boire un bon café (…). Le café lui ayant bien éclairci l’esprit – ses yeux de génie jetaient des étincelles ! – il versa dans la casserole la fine poudre de vermillon en touillant régulièrement avec une baguette spéciale. J’allais devenir l’authentique rouge carmin, mais il manquait encore la bonne consistance, et le mélange ne devait ni trop bouillir ni pas assez. Avec le bout de la baguette, il s’en mit une goutte à l’ongle du pouce – celui-là exclusivement. Quelle extase d’être le Rouge (…) » (p. 336 à 338)

Plus loin, tandis qu’un apprenti, couvre de couleur rouge la selle du cheval qu’un vieux peintre aveugle avait dessiné de mémoire, le personnage qui incarne le Rouge relate une conversation animée échangée entre deux peintres aveugles d’Asie centrale :

« Quand bien même à l’issue d’une existence de labeur, dédiés, dévoués au sacerdoce de notre art, nous sommes désormais privés du sens de la vue, il nous reste le souvenir de la sensation, de la couleur du rouge, disait celui qui avait tracé le cheval sur la feuille, mais si nous étions nés aveugles ? Comment connaîtrions-nous le rouge qu’utilise notre joli apprenti que voici ?

– C’est un beau sujet, a dit l’autre, mais n ‘oublie pas que les couleurs ne sont pas des signes, mais des sensations.

– Explique alors, si tu veux bien, le rouge à qui ignore la vue du rouge.

Au toucher, du bout des doigts, c’est entre le cuivre et le fer ; pris dans la paume, il brûlerait ; dans la bouche, il la remplirait d’un goût de viande sèche et salée ; au nez, il sent comme un cheval, et rappelle la camomille, parmi les fleurs, bien plus que la rose. »

(…)

« Ce Rouge, que signifie-t-il ? redemanda le peintre aveugle qui avait tracé le cheval.

– Il est notre révélation, l’évidence de la couleur. À ceux qui ne le voient pas, le Rouge reste absurde. »

pigments rouges

Pigments rouges

Le jeune apprenti continue alors à couvrir de son pinceau trempé de rouge les volutes compliquées de la selle du cheval et le Rouge termine en prononçant ces paroles de la tradition alchimique, qui scellent, se son point de vue, la puissance et la supériorité de la couleur du feu : « le Monde naissait de mes propres entrailles. Les aveugles me renieront, mais je suis celui qui est. » (p. 338 à 340)

L’essentiel de l’histoire se déroule dans le milieu de l’atelier impérial de miniature et d’enluminure. Sont évoqués des peintres ottomans célèbres, des grandes figures de la miniature persane et ottomane. La couleur rouge, dans ces ateliers, était prestigieuse et largement utilisée. Il existait plusieurs façons de remplacer le cinabre qui coûtait cher. On faisait ainsi réchauffer du mercure et du soufre pour donner du vermillon. Les couleurs rouge clair, orangé ou orange que l’on admire dans beaucoup de miniatures persanes, sont préparées à partir du minium, très toxique. Malgré le danger d’empoisonnement, les préparateurs dans les ateliers des peintres l’utilisaient jusqu’au XVIIe siècle, ainsi que la céruse, produite en plongeant du minium dans du vinaigre.

Parmi les pigments rouges simples et courants, on retrouve l’oxyde de fer, le carmin, obtenu par la cochenille et quelques pigments végétaux dont la source n’est pas toujours facile à distinguer.

Écoutons un dernier extrait du roman d’Orhan Pamuk :

« Ce rouge est particulier au Grand Maître de Tabriz, Mirzâ Baba Imânî, qui en a d’ailleurs emporté le secret dans la tombe. Il l’utilise pour les bordures des tapis, pour la toque turcomane portée par les shahs d’Iran, et, comme vous le voyez, également pour le ventre de ce lion rampant, ainsi que pour les manteaux rouges de ces jolis enfants. C’est une qualité de rouge que Dieu a réservée à la vision, exceptionnelle, du sang versé, de sorte que nous la chercherions en vain ailleurs que dans les étoffes teintes avec la même poudre à base de certains insectes écrasés, qui servent aussi pour le pigment carmin de la peinture. Remercions encore Celui qui cache et qui révèle ! » (p. 563-564)

Et voilà comment, dans ce roman, on retrouve les ingrédients et les modes de préparation de la couleur, maintes fois évoqués au cours de nos émissions, ainsi que la symbolique de feu, de puissance et de sang liée au rouge.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire (ici trois épisodes) intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts  ici

(1) PAMUK Orhan, Mon nom est rouge, Folio Gallimard, 2001 (1998 pour la première édition à Istanbul).


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Les teinturiers en rouge (émission du 2 février)

photo Emmanuelle Régent... prise ce 1er février avec un flocon de neige en signature (regarder la photo de près !)

Photo Emmanuelle Régent… prise ce 1er février avec un flocon de neige en signature (regarder la photo de près !)

Après trois années passées avec les pigments bleus, découvrons dans l’émission Tout en nuances (chaque lundi sur RCF Isère – 103.7 – à 8 h 35 et juste après 11 h) une couleur très différente : le rouge. Chaque semaine, nous effeuillerons une nuance, un caractéristique, une émotion liée à la couleur rouge. La semaine dernière, nous avons parlé d’une couleur un peu oubliée, le sang dragon. Cette semaine, il sera question des teinturiers en rouge, à partir du délicieux petit roman d’Olivier Bleys intitulé Pastel que nous avions évoqué plusieurs fois lors des émissions sur le bleu.

L’histoire se passe vers 1440 dans la région d’Albi.

L’atelier de maître Lucas Terrefort produit des teintures d’une seule couleur, le rouge, selon l’usage de l’époque. Son fils, Simon, naît avec le visage tout marqué d’une large tache de vin de couleur rouge ; l’homme de médecine passant par là soutient que, quelque chose des pigments employés en teinturerie, serait passé dans le sang de Simon. Après s’être demandé si sa femme n’avait pas pensé à un rouge-gorge pendant la grossesse, le teinturier déclare avec fierté devant le visage « rouge vermillon nuancé de mauve » de l’enfant, « qu’aucun de ses bains de garance ou de cochenille, si honorés auprès des drapiers, n’avait jamais produit de sang aussi vif ». (p. 10)

Simon, de toute évidence, doit suivre la tradition familiale et se spécialiser dans toutes les nuances de l’écarlate. Il devient compagnon dans l’atelier de teinture de son père qui lui explique : « Le rouge, mon enfant. Sens-tu comme il brûle ? Son trait est pareil à la langue des dragons ! Le bleu porte une haleine froide qui soutient l’esprit, au lieu que le rouge porte une haleine chaude qui allume le corps. C’est pourquoi l’encre bleue sert aux écritures, et le vin rouge attise nos entrailles ! (…) Sache-le, il n’est de couleur honnête que le rouge ! » (p. 14)

Pourtant, suite à une révélation, Simon abandonne chemin tracé et les cuves rouges de son père pour se lancer dans la teinture des étoffes au bleu de pastel. C’est sans compter sur les rivalités d’une grande violence qui vont naître de cette trahison, entre les teinturiers de bleus et les teinturiers de rouge. Les insultes pleuvent, teintée de bleu ou de rouge, et les menaces conduisent au meurtre.

Heureusement, à la fin de l’histoire, Clément, le fils de Simon, prend sa succession. Bien qu’aveugle, il se lance dans la teinture du bleu et du rouge, couleurs enfin réconciliées et termine par cette belle déclaration : « Pleuve grêle, souffle tempête, frappe foudre sur ma tête creuse ! Tant que je ferai la couleur, je serai homme debout en ce monde ! » (p. 394)

(1) BLEYS Olivier, Pastel, Paris, Gallimard, 2000.

Article du 2 février 2015