Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Dessiner au charbon de bois

OLYMPUS DIGITAL CAMERANous avons évoqué, la semaine dernière, l’utilisation de charbon de bois pour réaliser les poncifs. Denys de Fourna, dans Le Guide de la peinture, détaille la préparation du charbon de bois, une recette assez rudimentaire, encore bien loin de nos crayons d’aujourd’hui.

Écoutons-le :

« Prenez un gros morceau bien sain de noisetier sec ou de myrte ; coupez-le en plusieurs tronçons avec une scie, et fendez-le avec une hachette en brins menus, que vous amincirez encore avec un couteau, pour leur donner la forme de crayons ; remplissez-en une marmite, dont vous couvrirez la partie supérieure avec de la toile, et que vous enduirez complètement avec de la terre. Puis allumez un four, et, lorsqu’il sera à moitié allumé, mettez la marmite au milieu de ce four ; alors les morceaux de bois s’allumeront aussi et flamberont. Aussitôt que vous ne verrez plus de flammes, retirez la marmite du four, et couvrez-la de cendre ou de terre sèche. Faites attention de ne pas retirer le bois qui est dans la marmite, avant que le tout ne soit refroidi ; car, si vous découvrez la marmite avant le refroidissement, le bois se consumera, et vous perdrez votre peine.

Si vous voulez obtenir une préparation plus prompte, faites ainsi. Enveloppez plusieurs morceaux de bois dans du papier ou dans de la toile, et entourez-les de charbons ardents. Ces morceaux de bois brûleront et produiront de la fumée ; mais ayez soin de les retirer tous avec une pelle aussitôt que la fumée aura cessé ; puis enterrez-les dans de la cendre froide ou dans de la terre, jusqu’à ce qu’ils soient éteints, et alors vous aurez fini. C’est ainsi que les peintres préparent le charbon pour dessiner. »

À son tour, Cennino Cennini, dans Le Livre de l’art, donne ses indications pour préparer le charbon de bois. Plus de deux siècles ont passé : la méthode s’est pourtant à peine perfectionnée mais s’approche à pas lents de la fabrication de nos « crayons à papier » ! Ce sera le sujet de la prochaine émission.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).

Article du 26 mars


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L’icône « Joie de toutes les joies » ou « Séraphimo » ou « Diveieskaia »

 

Joie de toutes les joies

Joie de toutes les joies, 13 x 17 cm, icône sur tilleul

C’est la première fois que je réalise ce type d’icône très « occidentalisée », mais j’entreprends tout un travail autour de Séraphim de Sarov, et cette icône lui est indissociablement liée. Pour entrer dans une histoire, j’ai besoin d’abord, de comprendre avec un pinceau, un appareil photo ou une rencontre ; aussi , j’ai réalisé cette icône… et à ma grande surprise, elle m’a donné une grande joie !

L’original date du XVIIIe siècle et on y relève en effet une forte influence occidentale : regard tourné vers le bas, mains croisées sur la poitrine, couleurs inhabituelles (même si l’icône présentée ici n’a pas les couleurs d’origine), surcharge de décors, voile presque blanc aux formes très rondes… Une autre particularité réside dans l’inscription autour de l’auréole : « Réjouis-toi, fiancée non mariée ». L’icône d’origine mesure 67 cm x 49 cm ; elle est peinte à l’huile sur une toile collée sur une planche de cyprès.

L’icône porte plusieurs noms dont « Séraphimo ». Toute la vie du saint se passait sous la protection de la Mère de Dieu qui vient plusieurs fois lui rendre visite, le guérit miraculeusement à plusieurs reprises. Il avait dans sa cellule plusieurs icônes, mais celle-ci tenait pour lui une place très spéciale. Une veilleuse brûlait devant elle, et Séraphim utilisait son huile pour oindre et soigner les malades. On le retrouva mort, agenouillé devant elle, en 1833. Le Saint appelait cette icône « Tendresse », ou « Joie de toutes les joies ».

À la mort du Saint, l’higoumène du monastère transmit l’icône au monastère des femmes de Diveyévo (d’où le 3e nom de l’icône) qui avait été fondé par saint Séraphim (il en avait écrit la règle). Le saint, à plusieurs reprises, avait dit au sœurs de Divéyevo, en montrant cette icône : « Je vous confie et vous laisse le soin de cette reine des cieux », et celle-ci était considérée comme l’higoumène directe du monastère, toute décision importante devant lui être soumise. Plus tard, l’empereur Nicolas II fait recouvrir l’icône d’une nouvelle riza (1) d’argent, ce qui lui donne un aspect très surchargé.

Le monastère de Divéyévo, où se trouvait l’icône originale, ferme ses portes en 1927 mais l’icône est évacuée en secret et cachée pendant des années et la riza même enterrée. En juin 1991, l’icône est transmise au patriarche Alexis II et elle se trouve actuellement dans les locaux du patriarcat de Moscou. Une fois par an, pendant le carême, elle est offerte à la vénération de tous. Une copie de l’original est présentée à la galerie Tretiakov.
L’icône est fêtée le 28 juillet et le 9 décembre (jour de la fondation du monastère) et un office particulier lui est dédié.

1. La riza est une partie métallique, souvent précieuse et très ouvragée, destinée à protéger l’icône. Ce procédé est très en vogue aux XVIIIe et XIXe siècles, jusqu’à l’excès.

Article du 21 mars 2018


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Sinopia et poncif

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes maîtres médiévaux (1) recommandaient à leurs élèves d’augmenter progressivement les dimensions de leurs travaux, en commençant par dessiner sur une tablette de bois, puis sur un parchemin, un panneau de bois avant de s’aventurer sur un mur. Mais pour cela, difficile de travailler directement à la bonne échelle. Aussi, on utilise au Moyen Âge la sinopia et le poncif.

La sinopia (au pluriel sinopie) désigne un pigment ocre rouge, composé d’oxydes de fer et provenant, à l’origine, de la région de Sinope en Turquie, au bord de la mer Noire. On le connaît depuis l’Antiquité puisque Pline l’Ancien le décrit déjà. Cette couleur, ou une autre très proche, aurait été largement utilisée pour les fonds des fresques de Pompei. Dans les traités du Moyen Âge, on le confond souvent avec le cinabre, le rouge de garance et le minium. Par extension, le terme sinopia désigne l’ébauche, pour les fresques ou les peintures sur bois, réalisée avec ce pigment, voire les dessins préparatoires effectués avec cette couleur. Cenninno Cennini s’attarde dans plusieurs chapitres de son ouvrage sur la sinopia :

« Cette couleur est maigre et sèche par nature. Elle supporte bien d’être broyée ; car plus on la broie, plus elle devient fine. Elle est bonne à utiliser sur panneau ou retable, ou sur mur, à fresque ou à sec. » (chap XXXVIII)

Ce pigment est particulièrement adapté pour tracer les premiers contours. Dans la réalisation des icônes, nous enduisons l’envers de notre calque avec un ocre rouge qui évoque la sinopia. Ensuite, les dessins préparatoires sont réalisés au pinceau, dans cette même tonalité, tout comme les premiers tracés sur l’icône.

Une autre méthode ancienne encore mieux adaptée aux grandes surfaces ne nécessite pas l’intervention du maître : le poncif. Il s’agit d’effectuer de petits trous sur les contours du dessin au calque avant de reporter ce dessin préparatoire sur la surface à peindre. On remplit ensuite ces trous à l’aide de pigment ou bien on les tamponne avec un petit sachet empli de charbon de bois. L’utilisation du poncif est adaptée aux grands formats, en particulier aux fresques, et elle est à la portée des débutants : c’est pourquoi on recourait à cette technique autrefois, à la fois pour les peintures murales, le transfert des décors sur la céramique et les motifs préparatoires des tapisseries.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).

(1) Voir en particulier le Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine qu’on appelle aussi Le Guide de la peinture, une compilation qui pourrait remonter au XIIe siècle, le Traité des divers arts du moine Théophile qui date du XII e siècle ou Le livre de l’art de Cennino Cennini, peintre italien de la fin du XIVe siècle.

Article du 19 mars 2018 mis à jour le 4 août 2022


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Fabriquer son calque

OLYMPUS DIGITAL CAMERACennino Cennini propose quelques méthodes pour préparer son propre calque, au cas où on on ne le trouve pas dans le commerce ! Elle sont assez différentes de celles données par Denys de Fourna, deux siècles plus tôt (voir l’émission de la semaine dernière ici).

Dans la première recette (chapitre XXIV du Livre de l’art), il suggère de demander à un parcheminier de râcler, le plus régulièrement possible, un parchemin de chevreau afin de lui donner de la « tenue ». On améliore ensuite sa transparence en l’enduisant à l’aide d’un coton imbibé d’huile de lin « claire et belle », puis en le laissant bien sécher.

Le deuxième procédé (chapitre XXV) nécessite une pierre de marbre ou de porphyre bien polie, ainsi que de la colle de peau de poisson qu’on trouve alors chez l’apothicaire. Il faut la faire bouillir, puis la filtrer à plusieurs reprises avant d’en passer, une fine couche avec un pinceau sur la pierre régulière, au préalable enduite d’un peu d’huile d’olive. Il suffit ensuite de bien laisser sécher la colle puis de soulever très délicatement, la pellicule ainsi réalisée à l’aide de la pointe d’un petit couteau fin : on obtient ainsi une sorte de papier calque qu’il est possible d’assouplir en l’enduisant d’huile de lin, avant de bien laisser de nouveau sécher.

La troisième méthode est juste évoquée. Cennini propose au chapitre XXVI d’utiliser du papier chiffon, c’est à dire un papier réalisé à partir de fibres végétales et de morceaux d’étoffes, de l’affiner et le blanchir le plus possible, avant de lui donner sa transparence avec l’huile de graines de lin.

Dans la réalisation de nos icônes, nous utilisons aussi le papier calque. Certes, il n’est enduit ni d’huile de sésame, ni d’huile de lin, ni de suc d’ail mais acheté tel quel dans une boutique de la ville quand ce n’est pas sur internet ! Le modèle choisi, chacun réalise son dessin en respectant les règles de proportion et de couleur étudiées au préalable, puis, travaille à l’aide d’un calque afin de chercher à saisir les lignes de plus en plus épurées de son propre dessin. On recouvre alors l’envers du calque d’un peu de pigment ocre rouge pour enfin repasser l’endroit du dessin avec une pointe sèche, afin de ne pas l’encrasser et de pouvoir l’utiliser autant de fois que cela sera nécessaire. Cela rapproche notre travail d’une autre technique ancestrale qui sera le sujet de l’émission de la semaine prochaine : la sinopia.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).

Article du 12 mars 2018


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Saint Martin le miséricordieux

Saint Martin le miséricordieux

Saint Martin partageant son manteau, icône sur tilleul, 18 x 24 cm, 2018

Quel personnage au destin paradoxal !

Martin naît en 316 dans l’actuelle Hongrie. Son père officier, lui donne le nom de « Martin » , associé à Mars, le Dieu de la guerre et dès l’âge de quinze ans, le jeune homme suit le destin familial en entrant dans l’armée. Pourtant, il la quittera au bout de quelques années pour servir le Christ et par amour de la paix. Il meurt un 11 novembre, en 397. Ce jour-là devient jour de fête jusqu’à la Révolution française. Après un oubli de plus d’un siècle, étrange hasard, le 11 novembre 1918, l’armistice redonne un sens à cette date… qui redevient jour férié. La guerre semble coller aux semelles de Martin, la guerre comme la paix !

Alors qu’il servait à Amiens, un événement marque sa vie et sa légende. Par un jour d’hiver, il tranche son manteau (chlamyde) pour en donner la moitié à un pauvre homme. La nuit suivante, en rêve, il voit le Christ revêtu de son manteau prononçant ces paroles : « J’avais froid, mais le catéchumène Martin m’a réchauffé ». C’est toujours la même histoire : voir en chaque rencontre un être divin, qu’il appartient à chacun d’entre nous de réchauffer, réconforter, protéger…

Alors, la vie de Martin change : il quitte l’armée, demande le baptême, puis vit en ermite dans divers pays pour arriver à Poitiers en 360 où il rejoint saint Hilaire, qui vient de rentrer d’exil. Ensemble, ils fondent le premier monastère d’Occident à Ligugé.
Dix ans plus tard, les chrétiens de Tours appellent Martin pour qu’il devienne leur évêque. Il accepte à contrecœur et fonde un centre monastique à Marmoutier. Il se transforme alors en un inlassable missionnaire, qui garde toujours le souci de protéger les persécutés et les plus fragiles. Martin-l’évêque continue à vivre simplement, tel un moine, forçant de le respect par sa mesure et son refus de la violence, même dans son combat contre les hérésies de l’époque.

Il tombe d’épuisement à Candes en 397 et meurt, le visage tourné vers la fenêtre pour regarder le ciel.

Son influence est immense. On peut considérer saint Martin comme un des pionniers du monachisme occidental. En France, son nom est le nom de famille le plus répandu. C’est aussi celui de plus de quatre cents communes françaises. Son tombeau fut l’objet du quatrième grand pèlerinage de la chrétienté occidentale après Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle.

Article du 7 mars 2018


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Anthibole et calque

OLYMPUS DIGITAL CAMERALes peintres médiévaux n’hésitaient pas à travailler d’après des œuvres originales et à les recopier, en choisissant, comme nous l’avons évoqué les semaines passées, les meilleurs modèles. Toujours, les indications données s’accompagnent des multiples précautions à prendre pour respecter l’œuvre originale.

Pour copier les tableaux des maîtres, les peintres médiévaux utilisent une technique élaborée proche de celle du calque, une copie très complète, en transparence, de l’original, incluant toutes les nuances de couleur et les ombres. Denys de Fourna l’appelle l’« anthibole » ; notons l’existence de ce terme dans d’anciens manuscrits grecs.

Denys de Fourna explique comment préparer une sorte de papier calque destiné à recevoir l’anthibole : il recommande de commencer par enduire du papier avec de l’huile de sésame « non bouillie », puis, de le laisser reposer à l’ombre toute une journée afin que l’huile pénètre au coeur de la matière. Ensuite, il conseille de frotter le papier à la pierre ponce afin d’éliminer le gras déposé en surface : cela permettra à la couleur de bien adhérer et en même temps, évitera de graisser l’original.

Il décrit ensuite la méthode complète qui permet d’obtenir une copie très proche du modèle. Je serais incapable d’en faire une transcription réellement utilisable, comme c’est souvent le cas dans Le Guide de la peinture, mais j’ai compris qu’un des ingrédients principaux de cette méthode est le suc d’ail ! Denys recommande aussi, chaque fois que possible, le simple travail en transparence appuyé contre une fenêtre ou un carreau de verre bien éclairé !

Deux siècles plus tard, Cennino Cennini mentionne dans Le Livre de l’art (chapitre XXIII) l’existence du papier calque. Les temps changent déjà et il n’est plus forcément nécessaire de le préparer soi-même ! Il préconise lui aussi de l’utiliser, pour copier les tableaux des maîtres. Il conseille de bien fixer le calque sur l’original avec de la cire rouge ou verte, puis de travailler à l’encre, au pinceau ou à la plume, en n’hésitant pas à rehausser les couleurs et à indiquer délicatement les ombres. Dans les trois chapitres suivants, Cennini donne néanmoins ses propres recettes pour la fabrication du papier calque, et ce sera le sujet de l’émission de la semaine prochaine.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…).

Article du 5 mars 2018