Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Dans quel ordre peindre nos icônes ?

Tout un chemin, le pinceau à la main...

Tout un chemin, le pinceau à la main…

Voici une petite fiche à destination de mes élèves, pour savoir quel modèle choisir, en fonction des ses progrès et de son cheminement. Bien sûr, cette liste est indicative et chacun y intercalera ses coups de cœur et les demandes de ses proches…

Il est important de ne pas brûler les étapes et d’aborder une seule nouvelle difficulté à la fois. Il y a tant à apprendre de chaque icône, que ce soit d’un point de vue technique ou d’un point de vue spirituel, du point de vue de sa réflexion comme de celui de son coup de main. On n’apprend pas grand-chose si on est trop perdu et obligé de suivre seulement les indications et corrections du professeur, au lieu d’aller à son rythme, d’ « étendre ses mains intérieures vers le Seigneur » et réaliser beaucoup plus de choses qu’on ne l’imaginait.

– dans notre atelier, nous commençons par une Sainte Face, le visage du Christ. Cela permet d’étudier un visage de face avec la construction simple en 3 cercles, ainsi que sa signification symbolique et spirituelle ;

– ensuite, on peut choisir un autre visage de face, en buste (sans les mains) : ou bien le Christ, ou un saint de son choix, ou un personnage de l’Ancien testament (je dispose de plusieurs modèles simples élaborés il y a quelques années pour un travail avec des enfants) ;

Etude de mains et pieds lors d'un stage

Étude de mains et pieds lors d’un stage

la Main qui bénit dans une mandorle (permet d’étudier la main, et la pose des couleurs transparentes) ou diverses études de mains et/ou pieds ;

– un buste, toujours de face, avec davantage de vêtements et les mains (ce peut être le Christ Pantocrator avec le Livre ou un saint de son choix) ;

– on peut ensuite aborder un visage de ¾. Beaucoup brûlent de travailler une Vierge à l’enfant : attention, les modèles avec 2 visages de ¾, 4 mains, et un vêtement blanc (pour l’enfant)… sont très difficiles pour des personnes qui ont débuté depuis peu. Il vaut mieux commencer par un visage de Vierge seule (ou un autre personnage avec le visage incliné) ;

Vierge à l’enfant ;

– un ange (pour travailler les ailes) ;

– un personnage en entier, assis et un autre debout

– une Vierge du Signe ou/et un Christ Pantocrator trônant et/ou une Déésis ;

– deux personnages dans le thème de l’accolade (cela peut être la Visitation, la Rencontre de Anne et Joachim, Pierre et Paul…) ;

– on fera entrer progressivement d’autres difficultés de décor ou paysages : meubles (un évangéliste écrivant les évangiles par exemple), bâtiments, montagnes, eau, arbres, animaux…

– si cela n’a pas été fait, traiter un vêtement blanc (par exemple l’ange devant le  tombeau vide), un personnage à la barbe fournie…

– il est judicieux de refaire une étude de main, plus compliquée que la première, peut être en choisissant 2 mains ;

la Trinité ;

Icônes de la Transfiguration, peintes par des élèves de l'atelier

Icônes de la Transfiguration, peintes par des élèves de l’atelier

la Transfiguration. À partir de ce stade, on peut dire qu’on devient vraiment iconographe. C’est alors la fin d’un « noviciat », d’un « apprentissage ». Théoriquement, l’élève iconographe doit attendre cette étape pour envisager la pose de l’or et du regard.

Ensuite… ce n’est qu’un nouveau début : on peindra à son rythme les icônes de fête, en principe par ordre chronologique (en commençant par l’Annonciation).

 

 

 

Article du 26 février 2014


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L’ange Gabriel : « tu en auras joie et allégresse » (Lc 1, 14)

Gabriel 508 - copie

19,5 x 20,5 cm, février 2014, icône sur deux petits panneaux de tilleul collés ensemble

L’ange Gabriel, messager de la Bonne nouvelle, est fêté le 29 sept et 13 juillet.

J’ai hésité à continuer cet ange. La planche (19,5 x 20,5 cm) est constituée d’un assemblage de deux petits panneaux et nous avons tenté un nouveau système de collage. Mais une fente, assez prévisible, est apparue dans l’enduit. J’ai eu envie de continuer… en pensant à tout ce qui se construit sur des fractures ou des faiblesses…

Gabriel est le patron des télécommunications ! (tous les métiers qui y sont liés : radio, télévision, téléphonie, journalisme etc.).

Son nom signifie Homme de Dieu, Homme à qui Dieu fait confiance, La Force de Dieu ou Puissance de Dieu.

L’archange Gabriel apparaît, dans l’Ancien Testament, dans le livre de Daniel : il est envoyé au prophète pour l’aider à interpréter la signification d’une vision, puis pour lui prédire la venue du Messie (8, 16 ; 9, 21).

Dans le nouveau Testament, Messager de Dieu, il apporte deux fois la nouvelle importante d’une naissance :

– dans l’annonce à Zacharie de la naissance de saint Jean Baptiste (Lc 1, 11-20) ;

– dans l’annonce à Marie, à Nazareth, la naissance de Jésus (Lc 1, 26-38) ;

Divers textes apocryphes décrivent Gabriel et l’élèvent au rang d’archange.

Il a aussi la fonction de gardien et protège, avec saint Michel, les portes de églises contre les intrusions hostiles.

Gabriel est représenté habituellement en jeune homme imberbe. À partir du Ve siècle, il est ailé et nimbé. Entre le XIVe et le XVIIe siècle surtout, en Italie, il a des traits féminins ou androgynes. D’ailleurs, l’icône ne marque peu (ou pas) les arcades sourcilières. Il porte une longue tunique, une ceinture, des vêtements amples aux couleurs  douces. Dans l’icône, la dominante est bleue ou verte, mais on trouve aussi des tons rosés ou blancs.

Gabriel a sa place également dans la religion musulmane.

Il porte un bâton de messager, un sceptre, un phylactère ou un lys (qu’il porte à la Vierge lors de l’Annonciation) ou une sphère sur laquelle les lettres du Christ sont souvent indiquées.

ange Mar Moussa, 13ème siècle

Ange Mar Moussa, XIIIe siècle

Les représentations de l’ange Gabriel sont émouvantes et peuplent ma tête de souvenirs. Des fresques, des icônes et des tableaux de maître m’ont frôlée de leurs ailes à la Galerie Trétiakov, à Florence ou en Cappadoce… Je pense en particulier à l’ange tout de rose et d’or de l’Annonciation de Fra Angelico (celui de Cortone) ; et l’Ange de Mar Moussa qui par un jour du printemps 2006 a abrité sous son aile ma rencontre avec Nada, loin, tellement loin…

Ange Nada

Ange, Nada


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Lumière bleue et encre bleue… (émissions du 24 février et du 3 mars)

Pour la 3e année, je vous propose l’émission TOUT EN NUANCES tous les lundis à 8 h 35 et 11 h 10 sur RCF Isère. Durant cette émission, j’effeuille les subtilités de la couleur bleue, l’histoire de cette couleur céleste ainsi que sa symbolique. J’évoque également l’évolution des goûts et des sensibilités, tout en interrogeant la qualité des pigments. Je glisse parfois aussi mes rêves de lumières bleues, de tableaux et de vagues.

Vous pouvez retrouver les titres de toutes les émissions passées en cliquant ici , puis écouter celle-ci en podcast à partir de lundi sur le site de RCF Isère.

"L'encre bleue et le carnet à spirales..."

« L’encre bleue et le carnet à spirales… »

Lors des  émissions du 24 février et du 3 mars, il ne sera question ni de peintres, ni de pigments, ni de voyages ou de pays bleus, mais d’ambiances un peu hétéroclites en bleu. Nous évoquerons pêle-mêle la lumière bleue, les lunettes bleues de John Lennon, l’encre bleue et le stylo-plume bleu, et même le sang bleu des limules…

Nous reprendrons ensuite, avec le début du printemps, les recherches et les œuvres de peintres du XXe siècle : entendre le nom de Picasso, Matisse ou Klein relie immédiatement notre imaginaire au bleu…

 

 

Article du 24 février 2014


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« Le Songe de Joseph »

Le songe de Joseph, 23x27cm

Le Songe de Joseph, 23 x 27 cm

Voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe… (Mat 1,20)

J’ai choisi pour cette icône un fond très léger de bleu turquoise bleu-ciel véritable (Kremer 103801), difficile à trouver et très peu couvrant, un peu granuleux et fugace, qui s’accorde bien à l’ambiance du songe. Une couleur qui chuchote. La robe de l’ange est un mélange de terre verte et de vert malachite naturelle (K 10310). On retrouve cette belle couleur malachite (une de mes préférées) sur le motif du coussin. Le manteau virevoltant de l’ange et la chemise de Joseph sont couvertes de turquoise cobalt « un peu foncé » (K 45701). Le manteau de Joseph est un mélange d’ocre jaune et de « marguerite » (celui qu’Annie nous rapporte de Venise). Quant au bâtiment, il est réalisé à partir d’une terre rouge, ou plutôt rose, issue des versants du volcan d’Islande Snaefellsjoekull…
Surtout, j’ai pensé tout le temps à ce magnifique extrait du livre d’Erri De Luca, Au nom de la mère (Éd. Folio).

détail

Détail

« Cette nuit-là, Iosef rêva. Il me l’a raconté ensuite. Il rêva d’un ange qui lui ordonnait le nécessaire. Le matin, il réunit sa famille et fit part de sa décision : il épousait Miriàm à la date prévue en septembre, même si elle était enceinte… Il n’écouta rien. Ce fut un scandale. Le village était contre lui… Les insultes grêlaient sur son dos. Il se faisait lapider à ma place… Il dut quitter l’atelier de menuisier où il était premier assistant. Il en ouvrit un minuscule avec quelques outils achetés à crédit. Mais il était le meilleur tailleur de bois et les gens étaient bien forcés de s’adresser à lui. Il ne parlait pas avec ses clients car personne ne voulait lui parler, en dehors d’une brève discussion sur le prix et la livraison… Cependant le temps de la moisson était arrivé et on avait besoin de nouveaux outils. Iosef travaillait beaucoup, les poignées de ses faux étaient les meilleures. Autour de lui, le silence commença à céder, les premiers saluts dans la rue, les compliments pour la qualité de ses objets en bois… À la fin de l’été, une fois les moissons et les vendanges terminées, nous fûmes mariés. A Nazareth, on célèbre beaucoup de mariages à ce moment-là et les invitations se multiplient. Mais on ne peut pas danser à deux noces en même temps, ainsi les invités ne vinrent pas à la nôtre… Iosef était sérieux mais son corps souriait pour lui. Il me serra la main sous la tente du baldaquin battu par le vent. Sa main attendue qui m’avait protégée, qui ne m’avait pas accusée, qui n’avait pas soulevé la première pierre revenant au mari de la femme adultère, sa main épaissie de travail et d’échardes tremblait autour de la mienne qui enfin reposait fermée en elle…

« La grâce c’est la force surhumaine d’affronter le monde seul, sans effort, de le défier en duel tout entier sans même se décoiffer… C’est un don et toi tu l’as reçu. Qui le possède est affranchi de toute crainte… Tu es pleine de grâce. Autour de toi, il y a une barrière de grâce, une forteresse. Toi, tu la répands, Miriàm : même sur moi…

« Nous deux d’un côté, tous les autres de l’autre : une des deux parties doit être dans son tort, Iosef. Nous sommes dans le vrai, mais est-il possible que toute la communauté soit dans l’erreur ? » … « Personne n’a tort, Miriàm. Le fait est que tu es l’exception la plus spéciale et qu’eux n’ont pas assez de cœur pour la comprendre et la juger. C’est une affaire qui a besoin d’amour alors qu’eux s’embrouillent dans les codes, les usages….

« D’où prends-tu la force de rester seul contre tous, Iosef ? – De toi, répond-il. »

Article du 18 février 2014


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Le triptyque des bleus de Joan Miro

Joan Miro, Bleu II

Joan Miro, Bleu II

Joan Miro, voici enfin un peintre qui vécut longtemps, jusqu’à 90 ans dont une grande partie consacrée à la création. Son œuvre vibre de toutes les couleurs, rythmée par l’enfance, le rêve et la vivacité.

Une série de tableaux attire notre attention, un triptyque consacré au bleu, un ensemble de trois grandes toiles réalisées à Majorque en 1961 et conservées au musée national d’Art moderne Georges-Pompidou.

Ces toiles rappellent un moment difficile de la vie de Miro, un temps de rupture et de questionnement. Il a besoin de dix mois pour passer de l’ébauche au fusain à la peinture sur toile. Le peintre libère lentement la tache, la ligne, met le temps qu’il faut pour trouver le rythme et la couleur : l’immense atelier qui lui est prêté le déroute. Et puis, soudainement, l’espace se remplit d’immensité et de bleu. Miro dit lui-même : « J’ai mis beaucoup de temps à les faire. Pas à les peindre, mais à les méditer. Il m’a fallu un énorme effort, une très grande tension intérieure pour arriver au dépouillement voulu. »

Les tableaux bleus semblent réalisés d’un seul geste, inspirés selon l’historienne d’art, Margit Rowell, « par les villages catalans où, autrefois, les maisons étaient peintes en bleu, un bleu catalan légèrement violacé, clair, littéralement : le bleu ciel ».

Le deuxième tableau du triptyque était exposé à l’entrée de l’exposition du MuCEM de Marseille Le Noir et Le Bleu, un rêve méditerranéen. L’immense toile était présentée dans le catalogue comme  « manifestant notre capacité de rêver, malgré tout » (1). Elle évoque magistralement notre propos. Sur un fond bleu mouvant se pose une ligne rouge, d’une symbolique absolument contraire. Des sortes de galets, ou peut-être les pierres d’un gué semblent sautiller sur ce fond.

Les deux autres toiles du triptyque déclinent cet arrangement : les taches noires aux allures de constellations dans le Bleu I, se réduisent à une seule, très sobre, dans le III. Le petit bâton rouge du Bleu I s’étire dans le II comme un éclair et disparaît en un point ovoïde rouge, à peine entouré de gris-noir, flottant au bout d’une tige comme une fleur d’eau. Finalement, c’est l’éternelle rengaine : vivre le rouge qui trouble les fonds que l’on voudrait bleus, traverser le gris ou le noir, danser sur un fil en équilibre au-dessus du volcan en fusion, et rire, et contempler le ciel les yeux emplis de gratitude !

(1) Catalogue de l’exposition,  Le noir et le bleu, un rêve méditerranéen.

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 17 février 2014 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant six années. Elle est présentée ici. L’article a été mis à jour le 1er novembre 2020 et figure dans le livre Bleu, intensément, chapitre 102.

Article du 17 février 2014


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Sainte Marie l’Égyptienne

Marie l’Égyptienne aurait vécu entre le IIIe et le Ve siècle (selon les auteurs) en Palestine. Son histoire se répand par la tradition orale des moines dès le VIe siècle.

Elle est fêtée le 2 avril  (calendrier catholique), le 1er avril ainsi que le 5e dimanche de Carême dans le calendrier orthodoxe.
Il y eut plusieurs descriptions de sa vie : Jacques de Voragine (La légende dorée), Jean Moschus (Le Pré spirituel), Sophrone de Jérusalem… De nombreuses églises lui furent rapidement dédiées.

505 Marie l'EgyptienneMarie est née en Égypte et arrive à l’âge de 12 ans à Alexandrie. Jusqu’à 29 ans, elle vit dans la luxure, se prostituant dans les lieux de débauche.

Un jour, elle rencontre des pèlerins qui naviguent vers Jérusalem. Elle décide de les suivre en payant la traversée avec ses charmes. Arrivés devant la Basilique de la Résurrection, le jour de l’Exaltation de la Croix,  Marie ne peut franchir le seuil, une force la repousse chaque fois qu’elle veut passer.

Désespérée, elle se tourne vers l’icône de la Vierge et la supplie d’intercéder en sa faveur : Moi, je suis dans la fange du péché et vous êtes la plus pure des vierges. Prenez pitié d’une malheureuse et faites pour mon salut, que je puisse adorer la croix de votre divin fils. Aussitôt, mon cœur fut apaisé et, aucune force ne me retenant plus, j’entrai dans le sanctuaire comme portée sur les flots.

Pendant qu’elle entre dans la basilique, une voix lui dit : Si tu passes le Jourdain, tu y trouveras le repos. Elle communie, puis part dans le désert, au-delà du Jourdain. Elle y vit quarante-sept ans, absolument seule, se nourrissant des quelques pains rapportés de Jérusalem, aux prises à de terribles tentations.

Un jour, l’anachorète Zosime passe par là. Après avoir entendu son récit, il lui donne la communion. Marie lui demande de revenir l’année suivante, au même endroit, afin de lui apporter de nouveau ce sacrement. Zosime revient et découvre la sainte morte sur le sol, la tête tournée vers Jérusalem. Près d’elle se trouve un message lui demandant de l’ensevelir sur place. Mais le sol du désert est trop sec et dur et Zosime ne peut creuser la tombe. Un lion s’approche, le saint lui demande de l’aide, et tous deux creusent une fosse pour enterrer Marie. Enfin, le lion s’éloigne et Zosime rentre dans son cloître où il vivra très longtemps.

On représente Marie l’Égyptienne, le visage émacié, habillée de haillons, ou nue recouverte d’une longue et épaisse chevelure, un peu à l’image de saint Jean-Baptiste dans le désert ; elle a tantôt la peau noire, tantôt la peau claire. Elle est parfois accompagnée d’anges ou de démons. Parfois avec Zozime.

Elle nous relie à la conversion, au changement de vie radical, à la metanoia, au retournement de l’être.

Article du 11 février 2014


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Le « cassé-bleu »

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J’ai parlé la semaine dernière de la correspondance entre Nicolas de Staël et René Char à propos de la notion de « cassé-bleu ». En voici quelques extraits datant de 1952.

« Cher Nicolas, je sais maintenant où tu te trouves! Auprès de la lumière, auprès du cassé-bleu.
Vis et à bientôt, Fraternellement ». 
René

« Le cassé-bleu c’est absolument merveilleux, au bout d’un moment la mer est rouge, le ciel jaune et les sables violets et puis cela revient à la carte postale de bazar, mais ce bazar-là et cette carte, je veux bien m’en imprégner jusqu’au jour de ma mort. Sans blague, c’est unique René, il y a tout là. Après on est différent ». 
Nicolas

Puis quelques années plus tard, René Char répond à une correspondante qui l’interroge sur cette notion de « cassé-bleu ».

« Chère Madame, (…) Ce cassé-bleu fut un sujet de débat intérieur sans fond mais d’une richesse espérante. Ce cassé-bleu nous ressemble à tous.

C’est vous qui parlez d’autre dimension mais vous ne croyez pas si bien dire. Nicolas de Staël a su parcourir un monde de couleurs qu’il ne voyait certainement pas vraiment : il les sentait. Quand nous en parlions cette dimension nous apparaissait comme une caresse au delà des yeux. Le cassé-bleu était là, distinct, au milieu de la mer rouge, du ciel jaune ou encore vert et des tables violettes. Après cette considération, «on est comme différent» disait Nicolas.

Madame, pour approcher le cassé-bleu, celui par exemple du ciel infini, prenez une toile de Nicolas de Staël, comme « les barques dans le port » ou « les mouettes » (…) Mettez outrageusement l’œuvre à l’envers, tête en bas, posez-la, reculez-vous et asseyez-vous confortablement bien en face. Et regardez.

Le cassé-bleu, c’est lorsqu’inéluctablement votre esprit s’approche de la toile et vous donne envie de vous asseoir sur le cadre au bord du ciel à l’envers, les pieds dans le vide, qu’en quête de suspension vous vous jetez du bord du cadre dans un besoin de désaltération et que cette situation vous procure un bien-être infini. Le cassé-bleu c’est l’infini.

Quand on voit ainsi le cassé-bleu, on ne cherche plus à le démystifier. Mais il y a mille manières de le rencontrer. À chacun la sienne, à chacun sa palpable (…) »

René Char.

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 10 février 2014 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant 6 années. Elle est présentée ici.  L’article figure dans le livre « Bleu, intensément », chapitre 101.

Article du 10 février 2014


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Saint Vincent, patron des vignerons

Saint Vincent, 14,5x20cm

Saint Vincent, 14,5 x 20 cm

Il serait mort martyr avec son frère saint Oronce et saint Victor, le 22 janvier (date de sa fête) 304. Il est difficile de démêler l’histoire de la légende, racontée par le poète Prudence (348-v.415) dans La Couronne des martyrs.

Il est aussi appelé Vincent le diacre, et patron des vignerons.

Vincent, excellent orateur, aurait été fait diacre à Saragosse par son vieil évêque Valère, devenu un peu bègue. Il aurait été emprisonné, torturé et mis à mort à Valence (Espagne) avec son évêque en 304 ou 305 (persécutions de Dioclétien au cours desquelles plus d’un millier de chrétiens périssent en Espagne sous la torture).

La légende raconte qu’il aurait été soumis au feu (comme saint Laurent), jeté à la mer avec une meule attachée au cou… mais transporté miraculeusement sur le rivage, grâce à l’intervention de corbeaux… On raconte que, malgré les tortures, Vincent resta joyeux, capable de chanter et de plaisanter…

Son prénom signifie celui qui triomphe (… du malheur, de la souffrance ?)

Représentations :

En habit de diacre portant un évangéliaire ou un encensoir et la palme du martyre. Il est encadré de deux ceps de vigne portant des grappes de raisins. On trouve  aussi des représentations des diverses étapes de son martyr.

Article du 6 février 2014


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Les cheveux et la barbe dans l’icône (2)

IMG_0276Nous avons étudié pendant le dernier stage à Saint-Hugues de Biviers, une façon simple de réaliser la chevelure (et la barbe).
Cette fiche n’est qu’un « aide-mémoire », pour les élèves.

 

 

OLYMPUS DIGITAL CAMERAOn commence par poser le proplasme (sur tout ce qui est vivant : donc au début, indifféremment le visage, les cheveux, la barbe, le cou…).

 

 

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Puis, on délimite (avec ocre rouge et eau) le contour des grosses mèches. On place au milieu de chacune une lumière ocre rouge bien visible (ocre rouge, eau et œuf, 1 à 3 fois).

 

OLYMPUS DIGITAL CAMERAPuis on réaffirme les lignes en plaçant aussi des mèches plus petites (avec ocre rouge et pointe de noir ou terre d’ombre, eau et œuf).

Ensuite, on fait une lumière ocre jaune bien dégradée dans chaque petite mèche. Insister avant que ça ne soit sec pour créer une impression de modelé. Le mieux est d’en travailler une sur deux, puis reprendre tout ce qui manque pour que ça ne « bave » pas.

On fait la même chose en bleu-gris (blanc, pointe bleu et pointe noir) sur les chevelures de personnages âgés.

On réaffirme encore si besoin (si c’est flou).

OLYMPUS DIGITAL CAMERAPuis, on reprend avec une couleur assez sombre (terre d’ombre et pointe d’ocre rouge) le contour extérieur de la chevelure, et éventuellement quelques zones qu’on souhaite « ombrer ». On entraîne la couleur pour faire un « jus » (glacis) assez sombre sur l’ensemble de la chevelure, en ajoutant un peu de la couleur qui sera la couleur finale (plus ou moins roux, ou brun, foncé, ou clair).

Si possible, on reprend encore dans chaque petite mèche deux petits reflets encore plus clairs (cette étape peut aussi être réalisée plus tôt).

La barbe est traitée à part, d’une autre façon pour les personnages jeunes (comme le Christ). On peut visualiser cette vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=2kodzZnakbE

En revanche, pour les personnages à la barbe ample, on peut utiliser le même procédé que pour la chevelure.

Vous pouvez trouver de superbes modèles sur le site icônes contemporaines belges http://www.flickr.com/photos/28212753@N05/tags/cheveux/

PS : Quand on sait traiter les cheveux et la barbe, on peut  aussi traiter l’eau (en gros, même technique avec un/des glacis bleus de temps en temps (lapis-lazuli de préférence), les arbres et tout ce qui est vivant (base de proplasme).

Article du 3 février 2014


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Nicolas de Staël et le bleu

détail du "Fort carré d'Antibes", 1955

Détail du Fort carré d’Antibes, 1955

Impossible d’évoquer les peintres en bleu sans citer Nicolas de Staël, qui balaye le début de la première moitié du xxe siècle ; il met fin à ses jours en 1955, à l’âge de 41 ans. Une grande partie de ses œuvres ressemble à un splendide et puissant camaïeu de bleus. Citons : Bateaux, Parc de Sceaux et Ciel à Honfleur en 1952, Paysage d’Antibes en 1954 et toutes les œuvres en bleu de la dernière année de sa vie : Le Fort carré d’Antibes, Nature morte au chandelier sur fond bleu, Bateau de guerre, Les Mouettes, Nu couché bleu.

Un des derniers tableaux de Nicolas de Staël, Les Mouettes, se décline en nuances allant du blanc-gris au bleu sombre, en strates successives. Dans le détail, on ne distingue pas vraiment la tête des oiseaux, mais seulement des queues blanches frangées de bleu, des formes qui fuient vers un horizon triste et menaçant, un départ confus, un blanc cabossé de bleu-gris. C’est à la fois le jour et la nuit, le ciel et l’eau, l’envol et le poids des jours, l’orage qui vient du ciel avec l’inéluctable déferlement. On entend leur criaillement et le bruit lourd du battement de leurs ailes. On baisse la tête de crainte qu’elles ne nous frôlent.

Une chose me frappe chez cet artiste : la présence du rouge sous- jacent – le peintre aimait particulièrement le vermillon – parfois utilisé à côté du bleu, comme dans le Nu couché. Bien souvent, le rouge est posé sous le bleu, et on en voit apparaître seulement la frange, une lisière ou un reflet. Cette mince ligne irisée semble la bordure angoissée du bleu, dissimulée dans la sous-couche comme un grincement sinistre du bleu, une prétendue couleur douce. Le bleu de l’eau cache-t-il un feu tapi, prêt à tout instant à irradier, à brûler, à blesser ? Le calme n’annonce-t-il pas quelque tempête ?

Pour comprendre le sens de l’utilisation du bleu et de ses nuances par Nicolas de Staël, on peut lire quelques extraits d’une correspondance fervente entre le peintre et René Char. Le poète caractérise ainsi leur relation : « Staël et moi, nous nous approchons quelquefois plus près qu’il n’est permis de l’inconnu et de l’empire des étoiles. » (pour compléter, lire l’article Le « cassé-bleu »  avec la suite de cette correspondance)

Cet article est tiré d’une émission diffusée le 3 février 2014 sur RCF Isère dans le cadre de la série « Tout en nuances » qui a duré pendant 6 années. Elle est présentée ici.  L’article figure dans le livre « Bleu, intensément », chapitre 100.

Article du 3 février 2014 que je complète avec ces deux photos prises à l’exposition à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne le 21 février 2024