Prolongeons nos réflexions sur le sens symbolique de la progression de l’oeuvre, dans la peinture médiévale et dans l’icônographie, qui part de couleurs très sombres pour aller vers la lumière.
Je vais m’appuyer sur ouvrage passionnant de Michel Quenot (1) : Dialogue avec un peintre d’icônes. L’iconographe Pavel Boussalaev y explique (je cite) : « On commence souvent par couvrir le visage et le corps avec du sankir qui forme un fond terreux progressivement éclairci et rempli de majesté. L’homme accédant à la sainteté passe en effet durant son existence terrestre des ténèbres à la lumière » (p. 115). Cette technique exprime « l’idée de l’homme terreux destiné à retourner à la terre ». Cependant, la technique qui progresse « de l’ombre à la lumière » peut représenter, pour certaines personnes, un véritable combat. Aussi, elle côtoie la technique plus commune de l’ombrage, celle qui est le plus souvent enseignée dans les cours de peinture.
L’iconographe ajoute que ceux qui sont habitués à la technique du sankir (je cite encore) « disent ressentir une grande joie à vivre le passage des ténèbres à la lumière ».
Pour prolonger cette réflexion, je peux témoigner que certains de mes élèves ont du mal, au début, à accepter les fonds sombres. Ceux-ci représentent notre part d’ombre qu’il faut bien reconnaître, pour ensuite l’éclairer. Peu à peu, au fil de la pratique, cela devient tout naturel. Poser les couleurs sombres, accepter les ombres, pour ensuite « monter vers la lumière ».
Réaliser ce cheminement pas à pas, engendre un véritable processus de restauration intérieure, une sorte d’accompagnement spirituel. Il faudrait relire les travaux de Jung (2) sur l’ombre, cités dans l’ouvrage L’âme et la vie (3). Écoutons-le : « Il n’y a pas de lumière sans ombre et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni progression, ni ascension ».
En même temps Pavel Boussalaev rappelle que « garder en mémoire le sens profond de ce symbolisme permet d’éviter le dérapage qui consiste à réduire ce processus à quelque chose de magique».
Remarquons simplement que dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, le savoir et la pratique des artistes médiévaux est riche de sens pour nous, vivants d’aujourd’hui, et justifie l’envie de nous placer dans une sorte de chaîne de transmission pour conserver ces pratiques aux signification inépuisables.
On peut regarder le petit montage ici pour se faire une idée de la progression « de l’ombre à la lumière ».
(1) QUENOT Michel, Dialogue avec un peintre d’icônes, l’iconographe russe Pavel Boussalaev, Cerf, 2002.
(2) L’ombre est l’un des principaux archétypes décrits par Jung dans le cadre de sa psychologie analytique.
(3) JUNG Carl Gustav, L’âme et la vie, Poche, paru en1995.
Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Carnets de peinture et diffusée de septembre 2017 à juin 2019 sur RCF Isère. Dans l’esprit du carnet de voyage, l’émission nous faisait entrer dans les coulisses d’un art aujourd’hui bien vivant, qu’on peut appeler l’« art sacré traditionnel » (peinture de l’icône, fresque, enluminure, calligraphie, mosaïque, taille de pierre, orfèvrerie, vitrail…). On peut retrouver certains podcasts ici
Article du 27 mai 2019