Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes


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Le vert malachite

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Le pigment vert malachite

J’ai longuement parlé du bleu, les années précédentes, vous livrant que cette couleur me semblait être celle de mon âme. Mais je n’avais jamais répondu à la question : « quelle est votre couleur préférée ? » Eh bien après plus de cinq années d’émissions, je peux le dire, il s’agit du vert malachite et mes élèves le savent bien !

La malachite est une pierre d’un beau vert lumineux, qui tire un peu vers le bleu et le gris. Chimiquement, il s’agit d’un carbonate de cuivre de la même famille que le bleu azurite. Les deux pierres se forment dans des gisements de cuivre et connaissent des destins parallèles. La malachite se présente sous forme de concrétions aux formes rondes avec une surface ponctuée de dessins d’une tonalité plus sombre.

L’origine du mot est discutée. Pour les uns, le terme signifierait « mou », car la pierre est tendre. Pour d’autres, l’étymologie se rapprocherait de la couleur de la feuille de mauve qui se dit malakhe, en grec.

Connue depuis l’Antiquité égyptienne, la pierre est alors issue de gisements situés dans le désert, à l’ouest du mont Sinaï. Elle est utilisée comme pigment dès le IIIe millénaire avant J.-C., à peu près à la même époque que l’azurite, celle qui voit également la naissance du bleu égyptien, le premier bleu artificiel de l’histoire. Le liant employé est celui que nous utilisons aujourd’hui dans nos icônes, à savoir le jaune d’œuf ou la gomme arabique. Le vert malachite reste lumineux dans la pénombre et convient aux décors des tombeaux. La pierre de malachite est aussi broyée pour ses vertus thérapeutiques et peut entrer dans la composition du maquillage, mélangée à des graisses animales : on raconte que Cléopâtre s’en servait comme fard à paupières.

En Chine, le vert malachite est utilisé dans la peinture des paysages depuis la haute Antiquité. Plus tard, elle sert à fabriquer des encres vertes ; elle est une des seules couleurs de la palette voisinant avec sa collègue de toujours : le bleu azurite ! Les paysages sont alors monochromes et les peintres chinois jouent sur la subtilité de la nuance plutôt que sur le contraste des couleurs.

Durant l’Antiquité, les Grecs utilisent le pigment malachite, alors que les Romains le délaissent au profit des terres vertes, moins coûteuses, mais moins lumineuses. En revanche, la malachite semble garder sa place dans le domaine médical, comme en témoigne un coffret d’opticien découvert dans des fouilles romaines à Lyon.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 31 octobre 2016


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Le jade

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Pigment de jade

Nous avons évoqué la semaine dernière le céladon, qui rappelle la couleur du jade. Voyons aujourd’hui pourquoi cette pierre fascine au point de vouloir en imiter la couleur.

Le jade est une pierre semi-précieuse très dure, employée dès le néolithique en ornementation, en joaillerie et pour confectionner des petits outils. Sa couleur peut aller du vert au blanc, ou tendre vers le bleu et même, plus rarement, vers le rose ou le noir.

L’étymologie relie le mot jade avec celui qui désigne le « flanc » : la pierre était connue par les peuples indiens pour soulager les maladies des reins et cette tradition perdure. D’une façon générale, il s’agit d’une pierre de bon augure capable d’écarter le mal.

On trouve le jade un peu partout dans monde, en Russie, au Canada ou en Amérique du Sud, dans des gisements qui remontent parfois à l’époque précolombienne et aussi, plus rarement, dans les Alpes italiennes et les Vosges.

Depuis toujours, la Chine est le premier lieu de production, de fabrication et d’utilisation du jade. Patiemment polies, ces pierres sont chargées de propriétés magiques et deviennent des objets d’art ou des ornements portés à même le corps. Dans la mythologie chinoise, la légende de la création du monde par Nuwa est intimement liée à l’existence du jade dispersé sur la planète. À la mort du premier humain, Pangu, son souffle est devenu vents et nuages, sa chair s’est transformée en terre, et ses os en perles et jade. Dans la Chine ancienne, le jade était la pierre de l’empereur, symbole d’un pouvoir absolu. Celui-ci se devait d’arborer un sceptre de jade lors des grandes cérémonies. Les princes recevaient chacun une tablette de jade ornementée de diverses façons. La présentation annuelle de leur tablette au palais et la vérification de sa conformité attestaient ou non de leur qualité de dignitaire.

Parfois, on plaçait dans la bouche des défunts une cigale en jade, symbole de vie éternelle et de résurrection. Les corps ou le tombeau des plus riches étaient parfois entourés ou recouverts d’or et de jade, censés protéger de la putréfaction : c’est dire la force des espoirs mis par les anciens dans cette pierre à l’immense valeur symbolique.

Je sais qu’on utilise aussi la poudre de jade en cosmétique et qu’il existe un pigment vert jade en provenance de Russie qui peut être employé en peinture : je ne l’ai encore jamais essayé, mais cette recherche sur le jade m’en donne l’envie (1). Et surtout, je dédie ce chapitre à deux ou trois jeunes filles auxquelles je pense, et qui portent ce si joli prénom !

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts  ici

(1) Quelques jours après la publication de l’article, j’ai utilisé le pigment jade dans cette icône.

Article du 24 octobre 2016


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Le céladon

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On compare la céladon à la couleur des feuilles de saule…

Le céladon désigne une teinte vert pâle avec des nuances de bleu et de gris. Cette couleur si spéciale doit son nom au berger Céladon, personnage d’un roman pastoral du début du XVIIe siècle.

Le céladon désigne également un type de céramique, une glaçure très particulière contenant une petite quantité d’oxyde de fer, propre à la Chine et à l’Extrême-Orient, particulièrement apprécié pour ses tonalités proches de la couleur du jade, la pierre sacrée.

La technique est inventée dès 1250 av. J.-C. Elle nécessite une cuisson à haute température – environ 1200° – afin d’obtenir une matière vitreuse. Des cendres incandescentes retombent, à la sortie du four, sur les pièces, en laissant apparaître un revêtement imperméable, translucide et brillant. Selon les époques, on utilise des cendres de bois sèches ou un mélange de cendres humides et d’argile saupoudré à travers un tamis ou étalé au pinceau. Ces techniques, explorées méthodiquement par d’ingénieux artisans, permettent l’obtention de teintes variées.

Les céladons sont généralement monochromes, mais peuvent être ornés de motifs finement mis en relief. La grue, oiseau symbole de longévité et de bonheur, décore les céladons coréens : ils se distinguent des chinois par des tonalités qui tendent davantage vers le bleu. On trouve aussi des motifs décoratifs floraux ou animaux, des nuages, des fleurs, ainsi que des arabesques.

Dès sa mise au point sont fabriqués des jarres et des urnes funéraires qui font penser aux bronzes rituels un peu vieillis.

Peu à peu, le revêtement se perfectionne et les potiers fabriquent des bols à thé comparés à des « nuages verts saisis dans un tourbillon de glace. » Leur production pénètre jusqu’à la cour impériale.

L’âge d’or du céladon s’étend du XIe au XIVe siècle, art soutenu par la dynastie des Song puis des Yuan. Les pièces fabriquées ne sont plus seulement des objets utilitaires ou sacrés, mais deviennent de véritables œuvres d’art, avec des couleurs allant jusqu’au vert pâle, argenté, presque transparent.

Il semble qu’avec les invasions mongoles, la technique devienne progressivement plus grossière, puis commence à tomber dans l’oubli… Il nous reste la nuance, une teinte douce et un peu mystérieuse, aux reflets à la fois soyeux et fades, la couleur des feuilles de saule et de pêchers…

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 17 octobre 2016


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Le vert dans l’Égypte antique

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Une partie de la palette de l’Égypte ancienne : bleu égyptien, vert malachite et ocre jaune

Il semble que les peintres de la Préhistoire aient peu utilisé le vert, alors que les terres vertes étaient à leur disposition. Peut-être parce que la faible lumière des grottes rendait ces couleurs trop ternes. Quant à l’Assyrie et Babylone, le climat humide n’a pas permis de conserver les tissus et on ignore si la teinture en vert y était pratiquée. On sait davantage de choses sur le vert chez les Égyptiens de l’Antiquité.

Le dieu Osiris, dieu funéraire, est aussi celui de la terre et de la végétation. Toujours ce thème du cycle : passer de la vie à la vie, malgré la mort, passer du vert de la décomposition à celui de la re-création… Le dieu Ptah, parfois associé à Osiris et vénéré dans la région de Memphis, est représenté avec un visage vert, couleur bienfaisante de la fertilité. Quant à la mer, il n’est pas rare de la nommer : « la Très verte » !

Dans la peinture égyptienne, le vert tient toujours une bonne place. Il renvoie à la fécondité, la croissance, la régénération, la victoire sur la maladie et les esprits mauvais. Cette couleur bienfaisante éloigne les forces du Mal et les animaux verts, tels les crocodiles, sont considérés comme sacrés. Associés aux rituels funéraires, le vert est censé protéger également les défunts dans l’au-delà.

Le hiéroglyphe qui représente le mot « vert » prend en général la forme d’un papyrus à la symbolique toujours positive. Pour peindre sur les papyrus ou les fresques, les Égyptiens utilisent le vert malachite et la chrysocolle, dont nous reparlerons bientôt. Ils savent aussi mélanger le bleu égyptien1 et l’ocre jaune…

Les artisans fabriquent le vert artificiel à partir de limaille de cuivre mélangée à du sable et de la potasse. En les chauffant à très haute température, ils obtiennent de splendides tons bleu-vert présents sur le mobilier funéraire décoratif : des statuettes, des figurines, des perles. La glaçure renforce l’aspect précieux.

Quant aux teinturiers, ils obtiennent des étoffes vertes en superposant la teinture jaune du safran avec une teinture au pastel. Les peuples barbares utilisent aussi ce genre de technique et portent parfois des vêtements verts, ce qui est impensable dans l’antiquité gréco-romaine qui proscrit ou ignore ces mélanges.

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts  ici

  1. Pour en savoir plus sur le bleu égyptien, voir Bleu, intensément, chapitre 9.

Article du 10 octobre 2016


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Mars la verte

OLYMPUS DIGITAL CAMERAJ’ai partagé avec quelques uns l’engouement pour la trilogie martienne publiée à partir de 1992 :  Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue, par Kim Stanley Robinson. Ce roman fleuve de science-fiction raconte l’installation de Terriens sur Mars et les conflits liés aux projets divergents : faut-il tout faire pour transformer la splendide planète rouge en une planète vivable par l’homme – elle serait alors verte – ou encore en une planète qui pourrait devenir bleue si le niveau des eaux continuait à monter suite au réchauffement climatique qui affecte Mars, comme il affecte la terre ? Le récit, qui s’étend sur deux cents ans, est émaillé de descriptions riches en couleurs, de levers de soleil époustouflants, de dunes, de dômes et de cratères, d’éclats de lumière sous la neige ou le vent.

J’ai relevé un passage, dans le dernier tome : il met à l’honneur la couleur verte qui émerge peu à peu d’un paysage de sable, de terre et de rouille.

« Au milieu de toutes ces pierres, de tout ce sable, la vie végétale était très discrète. Au premier abord, du moins. Il fallait la chercher, bien regarder les couleurs, et surtout le vert, toutes les teintes de vert, dans ses nuances désertiques essentiellement : sauge, olive, kaki (…). Il fit plus attention. Une fois qu’on avait appris à remarquer les teintes pâles, vivantes, qui se fondaient si bien avec le milieu ferrique, elles commençaient à ressortir sur les tons rouille, bruns, terre de Sienne, ocre et noirs du paysage. C’était dans les creux et les fissures qu’on avait le plus de chances d’en repérer. Plus il scrutait le sol, plus il en voyait (…).

Le vert phosphorescent de certains lichens couvrait des parois rocheuses entières. Aux endroits où l’eau gouttait apparaissaient les verts émeraude, le velours sombre des mousses, pareilles à de la fourrure mouillée.

La palette multicolore de la gamme des lichens. Le vert foncé des aiguilles de pins. Les gerbes d’éclaboussures des pins de Hokkaido, les pins queue de renard, les genévriers d’Occident. Les couleurs de la vie. »

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. On peut retrouver certains podcasts  ici

Article du 3 octobre 2016