Elisabeth Lamour

Peintre d'icônes

Le rouge carmin

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pigment carmin naccarat, rouge cochenille authentique (K42100)

Pigment carmin naccarat, rouge cochenille authentique (K42100)

Le carmin, couleur aux nuances infinies court du rouge vif au rose foncé éclatant, ou tire sur le violet, le rendant proche du pourpre. Sous le nom de carmin, on trouve deux matières colorantes rouges, de constitution chimique voisines, obtenues à partir de deux sortes d’insectes, parasites de certains végétaux : le kermès et la cochenille.

L’insecte à l’allure d’une petite boule rougeâtre d’un diamètre de 5 à 8 mm, adhère aux branches d’arbustes. Quelle que soit la variété, seules les femelles sont utilisées, car les mâles ne contiennent pas le pigment colorant, l’acide carminique. On récolte les femelles adultes juste avant la ponte, pleine d’œufs, puis on les fait sécher au soleil. On les écrase ensuite pour obtenir une poudre rouge, soluble dans l’eau. Le colorant obtenu, dont le principal composant est l’acide carminique, est ensuite incorporé à l’alun. Pour obtenir l’équivalent du rouge vermillon, on le mélange avec du vinaigre ou du citron.

On fabrique alors d’excellentes teintures rouges aux belles nuances et résistant aux lavages et à la lumière.

À l’origine, le pigment carmin provient de la teinture obtenue avec les corps séchés d’un parasite du chêne kermès, d’où le nom de kermésy, qui donne aussi le terme « cramoisi ». La signification littérale du mot serait « pigment rouge produit par un ver ». On appelle aussi le kermès vermilium, ce qui signifie « petit ver » et donne en français le mot vermeil ou vermillon. Quant à la laque fabriquée à partir de la sécrétion de cet insecte, elle était connue sous le nom de « laque cramoisi ».

Vraiment, il est difficile de se retrouver dans toutes ces dénominations : carmin de kermès, de cochenille, cramoisi sans compter la confusion avec le vermillon et le grenat, d’autant plus qu’il existe trois ou quatre sortes de cochenilles tinctoriales venues d’Arménie, de Pologne ou d’Amérique, aux propriétés et aux nuances toujours différentes.

Nous tenterons quelques distinctions et évoquerons seulement le carmin de kermès, puis le carmin de cochenille d’Amérique.

Le carmin de kermès, aussi connu sous le nom de « graine écarlate » est utilisé dès l’Antiquité en Égypte puis en Europe, pour la coloration des textiles et des cuirs. Il est parfois mêlé à la coûteuse pourpre de Tyr. Pour des raisons confuses, l’art de teindre les étoffes avec la pourpre antique, disparaît du monde méditerranéen au cours du Moyen Âge. Parallèlement, la teinture au kermès, déjà hautement prisée durant l’Antiquité, illumine de son rouge intense les précieuses soieries médiévales souvent rehaussées de fils d’or. Le pape décide à la fin du XVe siècle que les robes des cardinaux, autrefois teintes en pourpre, le seraient désormais avec le carmin.

La teinture au carmin de kermès produit l’ « écarlate vermeille », couleur réservée aux draps de laine de qualité supérieure, ainsi qu’à la soie. On l’utilisait aussi en enluminure.

Courante dans la région de Montpellier, de Sète et d’Arles ainsi qu’en Espagne, l’insecte du kermès était récolté principalement au mois de mai par les femmes et les enfants dans les garrigues. Les cueilleurs se laissaient pousser les ongles pour mieux saisir l’insecte. L’activité permit à une ville comme Montpellier de se spécialiser dans la teinture des tissus écarlates connus pour leurs tonalités chatoyantes.

En fait, chaque échantillon obtenu, lié à un mordant donné, fournit une nuance toujours différente, mais l’insecte est plutôt rare et difficile à récolter en quantité. La récolte était d’environ 1 kilogramme de graines chaque matinée, juste de quoi produire une dizaine de grammes de pigment pur.

Le pigment obtenu à partir du parasite du chêne kermès est différent de celui qu’on connaît aujourd’hui car l’insecte a quasiment disparu. Il est difficile de savoir exactement quelles étaient les tonalités obtenues.

La valeur symbolique que lui confère son suc couleur de sang ouvre au kermès un autre débouché, celui des applications médicinales. Ainsi, l’élixir d’Alkermès, inventé par Mésué à Bagdad au début du IXsiècle, était composé d’un mélange d’épices comme la cannelle, et de kermès ; la préparation était réputée pour favoriser la digestion.

La découverte des Amériques va bouleverser le marché des pigments rouges et introduire un rival au carmin de kermès avec la cochenille, insecte très proche qui se reproduit naturellement sur les figuiers de Barbarie des régions andines désertiques.

Le pigment, dès 700 ans avant J.-C., était utilisé pour la teinture du coton et de l’alpaga au Pérou. Les Aztèques en faisaient l’élevage dans les nopaleries, du nom du cactus nopal sur lequel vivaient les insectes aussi appelés « sang de la figue de barbarie ». L’élevage, complexe, nécessite le maintien d’un subtil équilibre entre la survie de la plante nourricière et celle des parasites.

Les Indiens du Mexique récoltent les cochenilles chargées d’œufs en raclant avec une plume une variété de cactus, qu’elles parasitent. Séchées, elles constituent la grana, source d’un colorant rouge à base d’acide carminique.

Le pouvoir colorant de la cochenille d’Amérique est presque dix fois supérieur à celui du kermès ; les conquérants espagnols réalisent rapidement l’immense source de richesse qu’elle représente, d’autant plus qu’ils ont recours au travail des esclaves dans les plantations. Ils intensifient la production et dès 1520 exportent la cochenille séchée par centaines de tonnes vers l’Europe et jusqu’en Orient. Ils réussissent même à l’acclimater en Algérie et surtout dans les îles Canaries qui se lancent dans l’exportation au XIXsiècle.

Dans toute l’Europe, l’engouement pour les draps et velours rouge ne fait que croître à partir du XVIe siècle. À Versailles, Louis XIV en fait recouvrir murs et fauteuils, ainsi que les rideaux des 435 lits royaux et princiers.pa120008-2

Aujourd’hui, le Pérou reste le premier fournisseur de carmin de cochenille. Récoltée sur les figuiers de barbarie, l’insecte est transporté dans les usines d’extraction du colorant à proximité des zones de production. Toujours recueillis à la main, ils sont séchés au soleil avant d’être vendus aux transformateurs de carmin à Lima. La poudre est obtenue en ébouillantant les insectes femelles desséchés. Le résidu est ensuite filtré, précipité, lavé et enfin séché. Son usage actuel est principalement la production d’un colorant alimentaire très courant, réputé pour être inoffensif et connu sous le nom de E 120. Il est utilisé pour les rouges à lèvres, la charcuterie… et aussi tous nos petits bonbons à la fraise…

J’ai acheté un peu de ce pigment par curiosité : il s’avère peu agréable à utiliser. La couleur est profonde, magnifique, mais il a tendance à se répandre, à coloniser les couleurs proches, et n’est ni très onctueux ni très homogène. Tout comme le bleu de Prusse, il est recommandé de bien le broyer à la molette et d’ajouter une goutte d’alcool avant de réaliser un glacis du plus bel effet. Mais décidément, je préfère peindre avec des couleurs minérales, bien adaptées à la tempera, plutôt qu’avec de petits insectes !

Cet article a été le support d’une émission hebdomadaire intitulée Tout en nuances et diffusée de septembre 2011 à juin 2017 sur RCF Isère : six années à effeuiller les subtilités des couleurs, leur histoire mouvante et leur symbolique sans oublier quelques incursions dans les choix des peintres et les mots des écrivains. 

Article du 22 décembre 2014 mis à jour le 12 octobre 2022

Auteur : elisabethlamour

peintre d'icônes

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